Adriana Lorusso, Sonde cérébrale (SF)
Adriana Lorusso
Sonde cérébrale
Amazon
Sur Neudrakren la planète-capitale de la Fédération galactique humaine, Moïse Rasser, dit Mo, est le mouton noir de sa riche famille : il boit, il baise, il se drogue, il n’est bon qu’à dépenser de l’argent, au contraire de ses frères travailleurs assidus et bons citoyens, surtout Bilal, l’aîné. Là où tout le monde marche de plus en plus droit, dans cette société raidement patriarcale dont les deux piliers sont l’Église Unitariste et l’Armée (son père ex-militaire, est ambassadeur), il marche de travers. Ce n’est pas vraiment une révolte, simplement une tendance paresseuse à se laisser aller à sa propre pente, qui consiste à ne pas aimer s’ennuyer. Mais voilà que sa sœur cadette revient mariée à un autochtone du dernier assignement de leur père, la planète Ta-Shima [NDR : cadre de l’excellent diptyque SF publié chez Bragelonne et d’un recueil de nouvelles, également disponibles maintenant sur Amazon] – une planète rébarbativement « arriérée » (lire : non technologique), et la seule à ne pas appartenir à la Fédération. À partir de là, l’existence de Mo bascule. Il se découvre avec son étrange étranger de beau-frère des goûts érotiques qu’il ne connaissait pas, y devient accro, et se retrouve un jour arrêté par la police religieuse. Après un travesti de jugement, on l’envoie à l’hôpital de la Divine Providence, en réalité une abominable prison centre d’expériences « scientifiques » de l’Église. On lui greffe alors dans le cerveau une sonde qui réagit à ses pensées « perverses » en lui infligeant de terribles douleurs (une note en préface de l’auteure signale qu’une technologie semblable a été mise au point plusieurs années après son roman). Soumis à des tortures sadiques, il deviendrait un légume si son père ne le retrouvait et ne le faisait sortir de là, avec l’aide d’une faction secrète de l’armée, inquiète du pouvoir grandissant de l’Église. À ce stade, Mo se moque bien de la politique, même si le contact avec son beau-frère avait déjà commencé à éveiller ses curiosités : tout ce qu’il veut, c’est qu’on lui retire la sonde, et retrouver sa vie insouciante et dorée. Hélas, la biotechnologie impliquée rend l’opération impossible. Son père fait ce qu’il peut pour lui faciliter la vie, mais en vain. Finalement, après une mission secrète où le père disparaît, Mo totalement handicapé par la sonde se retrouve en proie au sadisme de son frère Bilal, furieux que Mo ait été nommé seul héritier. Abandonné de tous, suicidaire, Mo s’accroche au seul espoir qui lui reste : se rendre dans un endroit où la sonde ne pourra pas fonctionner. À cette fin, il va mettre en branle un plan complexe pour utiliser Bilal et ses deux épouses.
Ce long résumé ne couvre qu’une moitié environ de toutes les péripéties de ce roman pourtant court mais solidement ficelé et qui se lit d’une traite – j’ai essayé de ne pas trop en révéler. Mais autant et plus qu’à l’intrigue, j’ai pris un plaisir constant au ton allègrement désinvolte de la narration, au traitement sarcastique des divers personnages, y compris le protagoniste principal, et de la société où ils vivent, bien reconnaissable ; le tableau des relations familiales, en particulier, est d’une férocité à la fois épouvantable et réjouissante. Et j’ai aimé la manière habile, dépourvue de sentimentalité, dont on nous amène à empathiser avec Mo, qui n’est pas des plus avenants tout du long mais qui vit un terrible calvaire aux mains de ceux qui sont les véritables monstres. Par ailleurs, l’aspect science de cette histoire est fort intéressant et bien maîtrisé. Bref, tout pour une lecture SF qui n’« interpellera » pas votre vision de l’univers, certes, mais qui traite de sujets graves sans appuyer, ce qui est bien satisfaisant en ces temps de longueurs trop souvent prétentieuses. Que ce roman n’ait pas été publié chez un éditeur en règle, qu’une auteure, francophone, de science-fiction pure et dure déjà publiée avec succès (il y en a tellement en France, n’est-ce pas…) doive avoir recours à l’autopublication sur le site d’Amazon me paraît un signe des temps et en dit long aussi sur les œillères de l’édition française de genre(s).
Élisabeth Vonarburg