Collectif, Transes lucides
Collectif, sous la direction de René Beaulieu et Guy Sirois
Transes lucides
Roberval, Ashem Fictions, 1999, 193 p.
Par l’aspect de l’objet, mais aussi par la qualité de son contenu, Transes lucides rappelle le collectif Sous des soleils étrangers, publié en 1989 aux éditions Ianus (déjà onze ans !). Ce petit livre de facture modeste était une corne d’abondance d’excellents textes qui n’auraient pas déparé une publication « professionnelle » – la triste explication de ce phénomène étant que ces textes d’auteurs connus sont trop souvent orphelins suite à la frilosité (compréhensible) des éditeurs professionnels à publier collectifs et anthologies. Il y a les revues, certes. Ou doit-on dire « la » revue ? Ce n’est pas tirer la couverture à soi que de constater que Solaris est le seul lieu de publication stable au Québec pour la SFF. C’est mieux que rien, mais ce n’est pas assez.
Heureusement, le milieu démontre régulièrement sa capacité à engendrer ses propres lieux de publication lorsque ceux-ci se raréfient. René Beaulieu et Guy Sirois, auteurs et grands lecteurs du genre, se sont alliés aux éditions Ashem Fictions, un de ces lieux alternatifs de publication, à mi-chemin entre le fanzinat et l’édition professionnelle, pour nous offrir un collectif de nouvelles québécoises de SF et de fantastique. Précisons tout de suite qu’il est inutile de chercher Transes lucides en librairie. Publié à très petit tirage, le livre est presque déjà épuisé. Il reste utile malgré tout d’en parler ici car on peut encore se procurer un des derniers exemplaires en s’adressant à l’éditeur. De plus, et c’est le plus important, la même équipe nous promet déjà « Transes lucides 2 ». On espère qu’ils tiendront parole, car ce premier opus offre un équilibre réussi de textes inédits et de reprises, les auteurs connus – Alain Bergeron, Jacques Brossard, Jean Dion, Michel Lamontagne, Daniel Sernine, Jean-Louis Trudel et Élisabeth Vonarburg – accueillants les nouveaux et nouvelles Michèle Laframboise, Serge Mailloux et Francine Tremblay (le qualificatif de « nouveau » étant assez élastique dans le cas de Serge Mailloux, qui dès 1982 publiait « Enfants du miroir », dans Solaris #41).
Reconnaissons que les meilleurs textes sont ceux des auteurs connus. À l’exception du texte de Brossard, « La Grande Roue », qui m’a laissé indifférent, je me permettrai un raccourci ravageur en disant que Bergeron, Dion, Lamontagne, Sernine, Trudel et Vonarburg sont égaux à eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils nous offrent chacun un texte de qualité, imaginatif et bien écrit. Si je devais accorder un coup de cœur, j’hésiterais entre « Mystères des pyramides » de Michel Lamontagne et « Rêves de chiffres » de Jean Dion, mais en écrivant ces lignes je m’aperçois que j’ai peut-être été influencé par la joie particulière que l’on ressent à retrouver des auteurs qui se font bien rares. Si j’ai l’air de prendre pour acquis les fidèles Bergeron, Sernine, Trudel et Vonarburg, je m’en excuse (d’ailleurs, Sernine se fait bien discret lui aussi ; on le déplore).
Mais le plaisir de lecture d’un collectif est multiple. La découverte fait aussi partie du jeu, découverte toute relative car Mailloux et Tremblay ont déjà publié, quoique pas encore assez pour qu’on reconnaisse leur voix parmi la foule, tandis que Laframboise est surtout connue des lecteurs de Solaris pour ses dessins. « La Raison du chien », de Serge Mailloux, est d’ailleurs une curiosité puisqu’il s’agit d’un texte écrit il y plus de dix ans par un auteur qui, apparemment, a abandonné l’écriture. C’est sans doute dommage, car non seulement le thème est original dans une nouvelle québécoise – le Coyote de la mythologie amérindienne se réincarne dans le Québec contemporain – mais il y règne une ambiance feutrée et mystérieuse tout à fait plaisante. « Les Âmes gelées », de Michèle Laframboise, est aussi un texte à l’atmosphère réussie, dans lequel un décor et une thématique un peu convenus – un Montréal futuriste en déglingue – sont sauvés par une écriture sobre et des personnages dépeints avec finesse. La plume de Francine Tremblay est sans doute plus utilitaire que celle de sa collègue, mais thématiquement « Mon petit chaperon rouge » se montre plus ambitieuse. Comme le laisse entendre le titre, il s’agit d’une réécriture du célèbre conte. Le début déconcerte, le conte traditionnel étant rapporté du point de vue du loup en un « je » décidément moderne, pour se faire contaminer par des éléments que Perreault n’avait pas prévus. On finit par découvrir qu’il s’agit de simulations informatiques, de « tests » subis par les prisonniers d’un mystérieux système concentrationnaire. Hélas, la conjoncture mise en place n’est pas explicitée – pour tout dire, la nouvelle finit abruptement et on reste sur notre faim. Ayant exprimé ces quelques réserves, répétons que la présence de nouveaux venus est non seulement bienvenue, elle est essentielle pour l’avenir du genre. Si la prochaine édition annoncée par Sirois et Beaulieu nous offre encore un aussi bon équilibre, un aussi bon niveau général, il y aura au moins un lecteur ravi, moi.
Joël CHAMPETIER