Luc Durocher, Firestorm (Fa)
Luc Durocher
Firestorm
Beauport, Alire, 2000, 465 p.
Contrairement au roman Aliss de Patrick Senécal, également sorti l’an dernier chez Alire, roman qui part en lion et ralentit par la suite, ce premier livre de Luc Durocher démarre lentement mais conclut sur un crescendo trépidant très hollywoodien.
Le ressort de l’intrigue ? La tentative préméditée de longue date de faire pénétrer dans notre monde un démon maléfique, issu d’un univers foncièrement mauvais et étranger. La menace que fait peser cette intrusion d’une puissance incontrôlable et surnaturelle est sans doute emblématique du fantastique même, qui repose après tout sur la perturbation de notre petit quotidien par la manifestation de l’insolite. En tout cas, il s’agit d’un motif familier. Dans le fantastique d’ici, on songera par exemple à plusieurs romans de Daniel Sernine, en particulier Le Cercle violet où des menées similaires visent à déchaîner sur notre monde une entité démoniaque du même type.
Si la préparation de cette intrusion alimente le suspense nécessaire au livre, à l’insu de la plupart des personnages, l’essentiel du roman est fait des étapes du plan du nouveau venu qui espère bien invoquer le démon en question. La narration nous fait aussi découvrir la petite ville de Firestorm, rencontrer les futures victimes et s’intéresser à ceux qui seront appelés à s’opposer à cette fatale invocation.
Le choix de faire de Firestorm une petite ville étatsunienne (dans l’état de New York) peut apparaître sans surprise. C’est après tout le cadre privilégié d’innombrables histoires de la même eau dans le fantastique nord-américain. Sauf que l’auteur est québécois et que des auteurs comme Claude Bolduc, Joël Champetier et Daniel Sernine nous ont habitués à des romans dont le cadre est également québécois.
L’auteur connaît-il assez bien les États-Unis pour rendre plus saisissante l’existence d’une petite ville comme Firestorm que celle d’une agglomération équivalente au Québec ? Ce n’est pas clair. Il se dégage une nette impression de déjà-vu de la petite ville de Firestorm. Les personnages sont individualisés, plus ou moins, mais Firestorm ressemble avant tout à un décor standard, qui pourrait être édifié en plein Maine ou au cœur de la Pennsylvanie sans nécessiter un coup de marteau supplémentaire. Il n’y aurait qu’à changer le nom de quelques équipes sportives…
Certes, l’écriture de Durocher, à plus d’une reprise, donne carrément l’impression d’être le résultat d’une traduction de l’anglais. Si cela contribue à la vraisemblance du projet, on se demande si l’auteur ne serait quand même pas plus à l’aise en français québécois. Surtout que les personnages pourraient passer d’un cadre à l’autre sans grand dépaysement : ils sont assez passe-partout, de l’enseignant désespéré par la mort de sa femme jusqu’au maire corrompu, en passant par l’ami qui pratique une franchise brutale, le médecin légiste désabusé et le shérif plus finaud qu’on le dirait.
Les méchants, à la rigueur, confèrent une touche d’originalité au roman : l’ancien ami du shérif est un criminel intellectuel et insaisissable, tandis que l’antagoniste principal est un nécromant qui déjoue la mort depuis longtemps et se sert d’un moyen inusité pour envoûter ses victimes.
Cela fait de Firestorm, jusqu’à son titre en anglais, un roman qui semble viser les lecteurs à la recherche de récits d’horreur dans un cadre familier, soit le décor déjà planté de nombreux romans étatsuniens. On peut passer sur certaines failles de l’intrigue – le policier de Scotland Yard qui n’appelle pas le shérif dès qu’il a des nouvelles incriminantes sur un des suspects, l’enfant qui sait tout à la page 253 et pourrait empêcher un drame s’il osait en parler, mais qui, bien sûr, n’en parlera à personne, pour ne pas gâcher la grande confrontation finale.
Durocher, sans être un auteur sophistiqué, fait appel aux moteurs les plus sûrs de la fiction populaire et du thriller : camaraderie virile, enfants en péril, hémoglobine en baril… En deux mots, il livre la marchandise, sans flaflas mais avec quelques flonflons – lorsque la ville de Firestorm manque sombrer dans le chaos, par exemple. Si le roman se lit assez lentement au début, alors que l’auteur met en place ses personnages (dont la ville elle-même) et ses situations, les derniers chapitres se lisent d’une traite, alors que le dénouement approche. C’est donc un roman de fantastique pour lecteurs qui en lisent sans excès et qui en auront pour leur argent s’ils l’achètent. En revanche, les grands passionnés du genre risquent de n’y pas trouver grand-chose de nouveau.
Jean-Louis TRUDEL