Claude Bolduc (dir.), Petites Danses de Macabré
Claude Bolduc, dir.
Petites Danses de Macabré
Hull, Vents d’Ouest, 2002, 198 p.
S’il est vrai que le fantastique est presque toujours cousu du fil noir de la morbidité, la réciproque n’est pas nécessairement vraie. On a abondamment écrit sur la mort dans un registre réaliste, ce qui est d’ailleurs le cas de plusieurs textes du recueil concocté par Claude Bolduc et ses invités. À vrai dire, le thème est si vaste que malgré la qualité générale des textes rassemblés, il se dégage de l’ensemble une certaine impression de fourre-tout. L’alternance de textes réalistes et fantastiques d’une part, et d’auteurs québécois et européens d’autre part, en fait un objet littéraire difficile à analyser au sein d’une chronique consacrée à la science-fiction et au fantastique québécois – problème qui, on en conviendra, n’avait pas à influencer l’anthologiste !
Là où il est plus facile de critiquer Claude Bolduc, c’est dans sa décision de commencer le recueil avec les textes de Guy Jean et Jean Pettigrew, deux textes bien écrits mais un peu courts, un peu flous thématiquement. Il aurait fallu commencer avec le troisième texte, « Onction extrême », de Séréna Gentilhomme, texte plus fort, plus drôle – un des meilleurs du recueil, en réalité – et qui, surtout, aurait marqué sans ambiguïté la thématique du recueil. D’ailleurs, la sélection des textes européens est très bonne. Anne Duguël – souvent plus intéressante comme nouvelliste que comme romancière – est égale à elle-même avec « Enfer-sur-Meuse », une « vieille » idée plaisamment revampée. Tout aussi plaisantes sont les nouvelles des trois Belges Paul Mathieu, Jean-Luc Geoffroy et même Gaston Compère – rien que ça ! – toutes hantées par un certain sens de l’humour, et un sens certain de l’absurde, au-dessus desquelles on sent flotter les brumes de la mer du Nord.
La moyenne au bâton des auteurs québécois est – un peu – moins impressionnante. L’anthologiste Claude Bolduc nous offre « La Clé », un texte qui est peut-être un peu trop obscur par rapport à ce qu’il a à nous révéler. « À double tranchant » de Pierre Bernier est plus clair, et fort bien écrit en soi, mais il faut bien reconnaître que le propos fantasmatique autour duquel s’articule ce récit – une jeune femme abusée par son père séduit les hommes pour les castrer – commence à être pas mal rebattu.
Le propos de « Reflet de lune », de Jean-François Somain n’est pas tellement plus novateur. C’est une bonne vieille histoire de loup-garou. Sauf que Somain est un vrai professionnel qui a su intégrer avec naturel un récit classique dans le cadre évocateur du parc de la Gatineau. C’est fort agréable et on dirait que ça s’est écrit tout seul. « La Photographie », de Raymond Ouimet, m’a laissé un peu le même genre d’impression. C’est un texte de fantastique classique, peut-être un peu trop sage, mais que l’on lit avec intérêt du début à la fin. C’est un compliment.
Si, comme on l’a dit plus tôt, Petites Danses de Macabré est un recueil qui tarde à se réveiller, la finale offre deux textes québécois qu’il faut ranger à côté du Gentilhomme au sommet du podium.
J’avais lu « Quatre chambres » de Natasha Beaulieu lors de sa publication dans Le Trio infernal (collectif à tirage confidentiel publié en 1996 chez Ashem Fictions). Remercions l’anthologiste qui fait œuvre de bienfait public en rendant cette excellente nouvelle plus accessible. Natasha Beaulieu est à son mieux dans le registre de la fable, et cette étrange histoire d’extraterrestre venu vivre par procuration les sentiments des humains est à classer parmi ses meilleures nouvelles. C’est un texte qui aurait pu avoir été écrit par Neil Gaiman – je pèse mes mots.
Quant au texte final du collectif, « Vieille Couvarte », de Stéphane-Albert Boulais, il m’a enthousiasmé par son écriture en tout point remarquable, par son souffle épique et mythique (mais non fantastique, précisons-le) qui nous renvoie aux contes traditionnels tels que les racontaient nos ancêtres au coin du feu. Je ne connaissais pas cet auteur – on nous dit dans la présentation qu’il a publié quatre livres de contes romanesques – mais il est certain que je vais remarquer son nom à l’avenir.
Conclusion générale ? Il faut encore une fois saluer Claude Bolduc pour sa détermination à promouvoir la littérature noire et fantastique, autant chez les jeunes que chez les adultes, autant au Québec qu’en Europe. Les faits sont là : il est devenu un de nos ambassadeurs à l’étranger – un ambassadeur sympathique et sans prétention, ce qui ne peut pas nuire non plus. Les lacunes de Petites Danses de Macabré sont mineures, ses qualités majeures. Sa lecture ne peut qu’améliorer l’estime qu’on lui porte outre-mer, et c’est tout aussi vrai au Québec en ce qui me concerne. À quand le prochain volume ?
Joël CHAMPETIER