Ann Lamontagne, Trois jours après jamais (SF)
Ann Lamontagne
Trois Jours après jamais
Hull, Éditions Vents d’Ouest, 2002, 366 p.
C’est un roman qui, à prime abord, peut donner la frousse. Imaginez le Québec en période de glaciation durant quinze ans ! L’auteure fait montre d’une grande capacité d’imagination et de beaucoup de souffle (366 pages). À cet effet, le texte est peut-être un peu long, mais il sait rejoindre et captiver le lecteur et pose des réflexions judicieuses sur le Québec et sur la nature humaine, que ce soit directement ou de manière symbolique.
L’histoire se situe vraisemblablement dans la région de Québec. Au moment où le printemps arrive, survient une violente tempête de neige, laquelle instaurera un climat qui durera… quinze ans. Cette période de glaciation sera parfois entrecoupée de dégels qui seront tout aussi dommageables pour la population, provoquant, entre autres choses, des inondations.
On retrouve énormément de personnages qui, pour la plupart, ont des rapports étroits les uns avec les autres, petite communauté qui se soutient dans le malheur. À cet effet, Ann Lamontagne fait habilement ressortir cette valeur qu’est la solidarité. Il est par ailleurs assez ironique de voir des valeurs telles la religion catholique et la famille traditionnelle d’autrefois reprendre le dessus et être associées au pouvoir politique. Étrange et cocasse également de constater que seul le Québec est en période de glaciation et que ni les autres provinces ni les États-Unis n’ont le même problème et que même la communauté mondiale s’en fiche : « Le sort de la province ne semblait pas susciter beaucoup d’intérêt en Europe. » Le fait que le Québec soit isolé peut aussi évoquer symboliquement, volontairement ou non, de la part de l’auteure, une éventuelle séparation du Québec, mais nous ne présumerons pas ses intentions.
Il n’y a pas vraiment de héros ni de personnage principal. C’est ce qui fait un peu le charme de l’histoire, cette chimie, cette solidarité entre les personnes qui crée des liens qui diffèrent de ceux que l’on connaît dans la réalité et qui donne un point de vue collectif au récit. Disons que l’histoire tourne autour d’un réseau d’amis et de connaissances faisant partie de la même génération. Adrienne, Antoine, Denis, Justine, Raphaël et Manon, auxquels viennent se joindre de nombreux personnages secondaires. Pour unir leurs forces, afin d’affronter cette période de glaciation prolongée, ils vont se regrouper en une sorte de commune, faisant ainsi revivre certaines valeurs inhérentes aux années soixante. Paradoxalement, les valeurs sociales dominantes penchent vers la droite et la religion : la Nouvelle Couronne (le parti qui a pris le pouvoir) interdit l’avortement, encourage les familles nombreuses ; bref, politique et religion vont de pair, comme à une certaine époque. Ann Lamontagne dénonce avec virulence l’incompétence des politiciens et l’insouciance des baby boomers : « La démission de nos aînés, de certains d’entre eux devrais-je dire, connaît son aboutissement ultime aujourd’hui. Ils ont cessé de croire, se sont mis à faire l’amour comme des enragés, ils ont pillé les coffres, démoli les familles » (p. 139).
Il est également intéressant de constater que l’auteure pose des réflexions sur la peur. Ce roman semble dénoter une hantise de voir revenir « la grande noirceur », mais fait tout de même preuve d’une grande capacité d’imagination. Imaginaire et dénonciation font assez bon ménage : « […] Pendant deux heures, elle s’appliqua dans le silence du matin à retirer méthodiquement les carreaux de verre du toit. Ce n’était plus une preuve de sa nouvelle sérénité qu’elle donnait à Denis, mais un geste qu’elle faisait pour elle-même, le dernier tribut qu’elle accepterait jamais de payer à la peur. » (p. 365)
À travers l’angoisse de voir se répéter les mêmes erreurs dans l’humanité, on retrouve tout de même la promotion de valeurs axées sur l’espoir et le respect de la nature (entre autres à travers les multiples références aux arbres et aux plantes, qui symbolisent la vie et qui seront l’unique héritage d’Albert, le doyen du groupe), ainsi qu’une recherche d’unité. Ann Lamontagne sait également aborder les vrais problèmes, ceux qui préoccupent le plus les gens : les soins de santé et leur possible privatisation, par exemple. Ce roman propose une lecture agréable, à travers sa dimension fantastique, tout en conscientisant le lecteur et en proposant de nouvelles visions du monde.
Martin THISDALE