Frédérick Durand, Dernier Train pour Noireterre (Fa)
Frédérick Durand
Dernier Train pour Noireterre
Longueuil, La Veuve noire (Le Treize noir), 2003, 230 p.
Avant de débuter, mentionnons que ce récent roman de Frédérick Durand a été publié dans une nouvelle maison d’édition spécialisée dans les genres : La Veuve noire. La maison ne publie présentement qu’une seule collection, Le Treize noir, qui couvre indifféremment le polar et le fantastique, présentés sous une maquette qui, quoique colorée et accrocheuse, laisse perplexe. On n’y voit aucune indication concernant l’âge du public visé, ni sur la couverture ni dans les pages. Si cette absence d’information signifie habituellement qu’un roman s’adresse aux adultes – et c’est bien dans la section des livres de poche qu’on retrouve ces romans en librairie – dans le cas de Dernier train pour Noireterre, l’illustration naïve de la couverture, le choix d’un caractère ludique pour le titre, et le format du bouquin, une plaquette d’environ 225 pages écrite en gros caractères, tout cela laisse à penser qu’il s’agit d’un roman pour adolescents. Le fait que Frédérick Durand a déjà plusieurs romans jeunesse à son actif ajoutera peut-être à la confusion.
Alain Dalenko, un jeune touriste québécois en vacances à Limoges, prend le train vers Paris en compagnie de son ami Thierry. Très vite, l’univers de normalité bascule dans une sorte de cauchemar surréaliste alors qu’Alain découvre qu’il est monté dans un train surnaturel. Une tête réduite lui apprend qu’il doit trouver sept objets magiques cachés dans les wagons, sous peine de terminer son trajet dans le néant. Il mène sa quête de peine et de misère, car son travail est entravé par la présence d’un nain meurtrier manifestant un net penchant pour la décapitation. Une vieille dame inquiétante, qui se décrit comme étant la grand-mère de tous les monstres, remarque les talents du jeune homme et lui propose alors de l’embaucher comme enseignant à l’école des monstres.
Ceux qui ont déjà lu Le Carrousel pourpre (HMH 2001) et Promenade nocturne sur un chemin renversé (HMH 2002) se retrouveront en terrain familier. Ils connaissent déjà, par exemple, les noms Alain Dalenko et Marie Castel. Ils reconnaîtront aussi l’ambiance onirique et tellement particulière des romans de Durand, un auteur qui réussit (de façon parfois inégale, c’est vrai) à entraîner ses lecteurs dans un univers déstabilisant, mais tout à fait personnel et original. On pourrait même s’étonner de lire la mention « Roman fantastique » en quatrième de couverture. Une fois qu’il est clair que le héros ne quittera pas son train maudit autrement que pour descendre à Noireterre, un monde gouverné par la magie et le rêve, ne devrait-on pas plutôt parler de fantasy ? Pas d’une fantasy à la Tolkien, bien sûr, ni à la Amos Daragon, mais d’une fantasy tout de même. L’école des monstres rappelle d’ailleurs un tout petit peu le collège Poudlard de la série des Harry Potter – en tout cas, le personnel s’avère aussi excentrique.
Pour accroître le sentiment d’irréalité, l’auteur use d’une astuce consistant à répéter des passages entiers, qu’il s’agisse de la narration ou de répliques, pour plonger son personnage principal (et le lecteur) dans la confusion. L’impression de déjà-vu fonctionne à merveille, sauf qu’elle a parfois tendance à alourdir la lecture, et on se surprend à sauter les passages en question pour aller directement à la suite de l’histoire. Cette dernière obéit d’ailleurs à une structure bien particulière, qui pourrait détonner dans un univers aussi imprévisible. Après qu’il eût trouvé, un par un, les sept objets magiques cachés dans le train, on confie bien vite à Alain la responsabilité de traquer un nombre déterminé de monstres qui se sont échappés à Noireterre. Les pouvoirs de ces monstres s’avèrent l’un des éléments les plus intéressants des mésaventures d’Alain : la façon dont ils modifient l’humeur et la perception des protagonistes est traitée avec beaucoup d’efficacité.
Malgré des rebondissements plutôt macabres, la narration ne peut se départir d’une certaine naïveté dans son ensemble, ceci combiné à un manque de profondeur dans la psychologie des personnages. S’il est vrai que Dernier Train pour Noireterre exige un assez bon niveau de lecture, l’impression générale laissée par la maquette se trouve confirmée une fois le roman terminé : il s’agit d’un livre approprié pour un public adolescent, mais les lecteurs adultes risquent de rester sur leur faim.
Laurine SPEHNER