Gilles Pellerin, Ï (i tréma) (Hy)
Gilles Pellerin
Ï (i tréma)
L’instant même, Québec, 2004, 149 p.
Le nouveau livre de Gilles Pellerin, Ï (i tréma), sous-titré « Nouvelles et autres textes narratifs » compte plus de quatre-vingts courts textes (certains durent moins de quelques lignes). Ce grand nombre de « nouvelles » relativement autonomes rend toute tentative de catégorisation de Ï (i tréma) risquée, voire inappropriée.
Comme le tréma sert à identifier une lettre qui doit être prononcée séparément dans un mot, on pourrait penser que le titre du livre indique que chaque nouvelle doit être lue indépendamment des autres. Or, le recueil est ordonné d’une manière qui permet au lecteur de suivre le fil conducteur, souvent ténu, qui unit les textes.
Dès les premières pages, on sent très bien le caractère intimiste du travail de Pellerin. L’utilisation d’un narrateur à la première personne permet au lecteur de s’identifier rapidement aux personnages qui lui font découvrir le monde à travers leurs yeux. La grande maîtrise de la langue dont fait preuve Pellerin se manifeste à travers des textes parfois beaux, parfois poétiques. L’auteur se permet aussi d’utiliser des jeux de mots (« sadababiche » pour son of a bitch) et des tournures de phrases plus ou moins orthodoxes (terminer une phrase par « à » ou « de »). Certains textes de Ï (i tréma) sont drôles, plusieurs sont touchants et d’autres, complètement absurdes.
L’élément le plus intéressant de ce recueil reste toutefois la diversité des thèmes qui y sont traités. Pellerin se fait observateur et critique de la société. Il aborde, entre autres, le vieillissement, le rôle de père, l’invasion de la Terre par des « extraterrestres », le coup de foudre, l’adultère, le divorce, la mort, l’immigration, le racisme, le sexisme… et le drame que vit une femme dont le mari se gratte l’entrejambe en public.
Certains textes sont parfois tellement obscurs qu’une relecture devient nécessaire à une relative compréhension du message. Si le narrateur fait souvent référence à un « guide », le lecteur est, quant à lui, laissé seul et perdu dans un monde qu’il ne reconnaît pas. Loin d’être inquiétant, ce dépaysement permet au contraire de décrocher de la réalité et de passer quelques heures, sinon utiles, du moins divertissantes.
Bref, si Pellerin « […] retourne dans la chambre [de ses] enfants déposer sur leurs joues endormies ce qui tient sur les lèvres quand on ne sait plus parler », le lecteur a aussi cette impression d’avoir été effleuré tout doucement par un texte qui, s’il ne laisse pas de marque, touche quand même énormément.
Jérôme-Olivier ALLARD