Héloïse Côté, Les Enfants du solstice (Fy)
Héloïse Côté
Les Enfants du solstice
Québec, Alire (Romans 089), 2005, 304 p.
Second tome de la série de fantasy Les Chroniques de l’Hudres, ce livre de la jeune romancière de Québec Héloïse Côté est la suite directe du roman Les Conseillers du roi, paru en 2004. Comme dans le premier volet, l’intrigue est touffue et fertile en péripéties. On y retrouve en fait trois sous-intrigues principales qui ne trouveront leur résolution – soyez prévenu – que dans le troisième et dernier volet, si l’auteure respecte sa promesse de limiter les Chroniques de l’Hudres à une trilogie.
Tout commence à Dafidec, capitale de l’Hudres, où la reine Lyntas continue de manigancer pour imposer le culte exclusif de Shir, le dieu mâle. Il lui faut pour cela se débarrasser de tous les champions de la dualité, à commencer par Léane, la grande prêtresse de Shirana, la déesse femelle. Léane est condamnée au bûcher, mais réussira à s’enfuir pour être capturée par les Osjes, avec qui elle finira par conclure une forme d’entente – ce qui n’est pas toujours évident avec ces barbares. Pendant ce temps Léonte, le grand général et guerrier, instrument de la double divinité, a appris que Regde, l’héritier légitime du royaume de l’Hudres, est encore vivant, ce qui remet la légitimité de Lyntas en question.
Accompagné de Nantor, Dansec et du jeune Fyae, frère jumeau de Nyam devenu lui aussi un Chevalier de la Dualité, Léonte traversera la mer d’Horn jusqu’en Namarre ; un voyage fort périlleux lorsqu’on sait que les Rouges, une faction belliqueuse du peuple namarre, fait régner la terreur sur la mer d’Horn. Sans oublier les haurks, derniers descendants de l’époque des monstres, qui apparaissent à l’occasion aux équipages malchanceux.
Dans ma recension du premier tome de cette série (Solaris 154), j’avais tempéré mon appréciation pour les qualités de l’œuvre, et l’ambition qui la sous-tend, par un rappel qu’il s’agissait d’un premier roman d’une jeune auteure de 25 ans, qu’il ne fallait donc pas se surprendre d’y retrouver quelques lacunes sur le plan de la narration et de l’originalité du récit, le pari étant que le second volet serait plus maîtrisé.
Et la première chose qu’il faut reconnaître, c’est que ce pari est tenu : Les Enfants du solstice est supérieur aux Conseillers du roi sur… ma foi, sur tous les plans ou presque. Compétence de l’écriture, construction de l’intrigue, clarté des descriptions, c’est un livre plus agréable à lire, et le constat n’est jamais aussi vrai que pendant les (nombreuses) scènes de combat, qui étaient parfois assez embrouillées dans le premier tome. C’est aussi vrai des dialogues, encore un peu utilitaires, certes, mais plus coulant et qui bénéficient à l’occasion d’une réflexion sur le langage, le cas le plus patent étant la langue osje, qui n’emploie pas le « tu », où chacun interpelle l’autre en employant la troisième personne. Bref, j’imagine mal un lecteur qui a aimé le premier tome être déçu par cette suite.
Par contre, et c’est l’inconvénient de commencer sa carrière littéraire avec une trilogie, Héloïse Côté ne peut pas entièrement s’affranchir de toutes ses décisions d’écrivaine novice : elle est maintenant coincée avec des éléments de l’histoire et des choix narratifs qu’elle aurait peut-être préféré reconsidérer. Je n’avais pas parlé des noms des personnages dans ma critique du premier tome, ne voulant pas transformer une sensibilité personnelle en critère d’analyse. Mais depuis j’ai comparé mes impressions avec d’autres lecteurs et j’ai compris que je n’étais pas le seul à m’être un peu emmêlé entre Léonte, Léane et Lyntas, ou Dafidec, Dansec, Darsonie et Damasie. Ne parlons même pas des noms osjes !
Même constat concernant le mode de narration, ce point de vue omniscient qui dans une même scène nous rapporte les pensées de plusieurs personnages point de vue. C’est certainement utile pour qui veut brosser une fresque aussi tumultueuse, car cela permet de condenser de façon économique une multiplicité de sous-intrigues. L’inconvénient, c’est que même lorsqu’il est géré avec plus d’habileté que dans le premier tome, ce mode de narration omniscient nous éloigne des personnages en soulignant la nature artificielle de la fiction. Et ça sabote évidemment une des révélations surprises en plein milieu du roman, au sujet de la véritable identité d’un des personnages. On s’entend que les fausses identités font partie du répertoire de base du récit d’aventure, mais il faut un écrivain diablement habile pour réussir à tromper le lecteur sur l’identité réelle d’un personnage dont il nous a fait partager le point de vue à plusieurs reprises ! L’auteure essaie de s’en sortir en faisant intervenir un sort de brouillage imposé par la déesse Shirana ; mais on sait qu’un détail est boiteux quand il dépend de l’intervention – littérale – d’un deus ex machina.
Est-ce un hasard si une fois débarrassé de cette équivoque, la seconde moitié du roman file à belle allure ? Est-ce un signe annonciateur de ce qui nous attend dans L’Ourse et le Boucher, la conclusion annoncée pour cet automne ? C’est ce que nous souhaitons, et c’est ce que nous verrons.
Joël CHAMPETIER