Bienvenue Alyson, de J.D. Kurtness (SF)
J.D. Kurtness
Bienvenue, Alyson
Wendake, Hannenorak (Solstice), 2022, 44 p.
Alma, Saguenay. Francine Hamel, quinquagénaire, semble s’être volatilisée. Deux semaines après sa disparition, une battue est organisée et on retrouve son corps dans une clairière au milieu des bois. Bizarrement, son cadavre est intact : il ne présente aucun signe de décomposition et n’a pas été dévoré par les charognards. Un doux parfum se dégagerait même de la charogne – pour certains, « un arôme de citron », pour d’autres de « fraîcheur des froides journées d’hiver. » À cette première mort suspecte suivent d’autres évènements étranges : l’enquêteur responsable du dossier de Francine développe une obsession pour les champignons qu’il a découverts sur la scène de crime, des gens, toujours plus nombreux, s’enfoncent dans les bois d’Alma avant d’être retrouvés décédés, le « visage stupéfié de plaisir » tandis que toute personne qui visite le Saguenay devient animée par « le désir de faire le bien et de communier avec la nature. »
C’est une douce et ironique fin du monde que nous offre J.D. Kurtness avec Bienvenue, Alyson. Comme dans son superbe roman Aquariums, l’autrice ilnue emprunte dans cette nouvelle le genre apocalyptique pour mieux le déconstruire. On retrouve dans le texte beaucoup de tropes du récit de catastrophe : un cataclysme impossible à endiguer, des morts par millions, des interventions policières aussi invasives qu’inutiles et, à terme, la destruction de l’humanité telle qu’on la connaît. Tout le pouvoir de retournement de Kurtness est de dissocier l’apocalypse de la dystopie. Aucune larme, aucun drame dans Bienvenue, Alyson. Nul ne s’apitoie sur son sort et seule une minorité résiste réellement contre l’emprise du champignon qui répand ses spores et souhaite que le monde reste le même qu’avant. Devant la mort à venir, la majorité « [pleurent] de joie et [hurlent] que la beauté [est] partout avant d’arracher leurs vêtements et de se rouler sur le sol, extatiques ». Qui aurait pu croire qu’il était possible de faire rimer apocalypse avec utopie ? Avec un humour grinçant et dans un livre de moins de cinquante pages, J.D. Kurtness le réussit avec éclat.
Finalement, Bienvenue, Alyson est une œuvre qui nous invite à repenser l’importance de l’humanité sur la Terre, à nous « désanthropocentrer ». Dans la lignée de textes comme La cité des saints et des fous de Jeff Vandermeer, Kurtness nous laisse à la fin de sa nouvelle sur la réflexion suivante : et si les champignons communiquaient, avaient des buts, voire des projets pour nous, humains, qui nous croyons pourtant l’espèce la plus évoluée sur Terre ? On se retrouve soudain obligé de regarder le monde qui nous entoure avec d’autres yeux, à percevoir dans le reste du vivant – qu’il s’agisse des animaux, des plantes ou des mycètes – des interlocuteur.ices potentiel.les, des acteur.ices dans l’histoire de l’univers. Là se trouve le futur que Kurtness nous invite à imaginer, un futur qui suit non pas la fin du monde, mais la fin d’un monde. Un avenir où, enfin, « [nous] serons le sol, les plantes et toutes les délicates créatures qui foulent notre monde ».
Anaïs PAQUIN