Anne Legault, Récits de Médilhault (SF)
Anne Legault
Récits de Médilhault
Québec, L’Instant même, 2007, 159 p.
Je ne ferai pas ici le résumé des Récits de Médilhault, car l’univers mis en place par Anne Legault, auteure de théâtre, est si riche et complexe qu’il serait impossible de le faire avec un respect total. Je me contenterai d’en indiquer quelques éléments qui sauront, je l’espère, intéresser suffisamment pour inciter à la lecture de ce formidable ouvrage.
Les récits se situent à plusieurs époques, sans ordre chronologique. Certains ont cours aujourd’hui, dans le Montréal que nous connaissons bien. D’autres se situent dans un futur flou, sans vraiment savoir en quelle année si ce n’est que nous sommes au XXIe siècle à Médilhault, après une forme de Troisième Guerre mondiale qui a laissé la population dans une sorte de pauvreté intellectuelle. Certains récits sont probablement plus lointains encore, et peut-être décrivent-ils les conséquences de ce monde où la possession de la connaissance sous toutes ses formes est un crime très grave. Seuls ceux qui y sont autorisés ont un accès aux connaissances qui sont confinées aux écrans. Mais cette société semble si peu technologique ! Elle semble au contraire très moyenâgeuse et archaïque. Les personnages croisés lors de ces récits sont mystérieux, chargés de lourds passés, et de futurs non moins lourds. Ils vivent sous la tyrannie, leur liberté leur ayant été petit à petit supprimée.
Ce qui est très frappant à la lecture de ces récits en est la forme extrêmement compacte et serrée. Chaque nouvelle est une pièce qui a sa place dans l’histoire, fortement imbriquée dans les autres. L’auteure ne tente pas de nous expliquer, ni d’excuser, elle nous montre, et ce avec une précision et un talent qu’elle n’a plus à prouver dès la deuxième page. L’univers qu’elle nous peint est à la fois empli d’une barbarie toute humaine et d’un minuscule espoir en une petite partie de cette même humanité. Il me vient en tête un passage que j’ai noté lors de ma lecture, et qui me paraît exprimer assez bien ce que j’ai ressenti : « Il règne ici un singulier sentiment de liberté qui n’est pas la liberté, un loisir de faire à sa guise qui ne doit servir à rien d’autre que cela, le loisir. Ils sont de plus en plus pauvres, mais ils font ce qu’ils veulent de cette pauvreté. Leurs enfants semblent heureux. Est-ce que ce sont bien leurs descendants qui se soulèveront en une seule vague, tueront et massacreront avant d’être massacrés à leur tour, exaspérés par la quête du bonheur, qu’on avait donnée à leurs ancêtres pour qu’ils se tiennent tranquilles ? » (p. 101-102).
Et que peut-on faire, à part assister avec l’auteure au spectacle de la cruauté que seul l’être humain peut faire coexister parfaitement avec une certaine idée de la perfection ? Espérer que seule la fiction va aussi loin, tout en sachant qu’elle n’est que trop souvent rattrapée par les démons de la réalité.
Pascale RAUD