Michel J. Lévesque, Noires Nouvelles (SFFa)
Michel J. LÉVESQUE
Noires Nouvelles
Montréal, Les Intouchables, 2008, 286 p.
Auteur de la série Arielle Queen (Les Intouchables), et du roman Samuel de la chasse-galerie (Médiaspaul, 2006), Michel J. Lévesque est mieux connu du grand public pour ses publications destinées à la jeunesse. Mais il faut également savoir que cet auteur prolifique – qui vit aujourd’hui de sa plume – a publié entre 2003 et 2007 de nombreuses nouvelles de science-fiction et fantastique dans divers magazines, fanzines et revues. Dix d’entre elles ont été reprises dans le recueil Noires nouvelles (qui ne contient aucune nouvelle inédite), qui donne un bon aperçu de cet auteur aux facettes multiples : on y trouve des nouvelles publiées dans Brins d’éternité, Horrifique, Galaxies et Solaris.
N’ayant jamais lu ses livres jeunesse, bien qu’en ayant beaucoup entendu parler du fait de leur succès de librairie, je connaissais bien peu les univers de l’auteur. Le recueil débute avec une nouvelle de science-fiction assez longue, « L’Arcuride », qui met en scène une société totalitariste dans laquelle des hommes, dont l’analyse ADN montrent qu’ils sont de la lignée du Grand Arcure, deviennent alors des arcurides et entrent au service du Gouvernement Légitime (GL). Leur principal objectif : maintenir l’ordre à tout prix, et surtout faire la guerre aux Odi-Menvatts, les « clowns-vengeurs » qui font leur propre justice, en marge de ce que le GL autorise. Mais devenir un super soldat est-il un jeu qui en vaut la chandelle ? Le GL dit-il la vérité ? De quelle manière s’assure-t-il de la fidélité de ses sujets ? Ce premier texte nous présente un univers que l’auteur affectionne tout particulièrement – et qui reviendra à plusieurs reprises dans les autres nouvelles –, celui des Odi-Menvatts, qui reçoivent des demandes de vengeance de la part des citoyens mécontents et se chargent de châtier les coupables (voire les tuer). Suit la nouvelle fantastique « Les Parchemins » (qui est sa toute première nouvelle publiée), l’histoire d’un homme qui reçoit comme cadeau – mais est-ce vraiment un bienfait ? – l’immortalité lors d’une bien curieuse expérience en 1944, en France, alors qu’il est caché dans un bunker. Retour à l’univers noir et cynique des Odi-Menvatts avec « Menvatt Story ». Alors que la première nouvelle était racontée de point de vue des « chasseurs » d’Odi-Menvatts, celle-ci – et toutes les suivantes dans le même univers – est vécue de l’intérieur, par un Odi-Menvatt dont on ne connaîtra l’identité qu’à la fin du recueil. Pourquoi les Odi-Menvatts sont-ils appelés des clowns-vengeurs ? Tout simplement à cause du grimage sous lequel ils se cachent : fond de teint blanc, nez rouge et sourcils noirs arqués. Un long imperméable noir et un feutre, ainsi qu’une marguerite munie d’un dévérouilleur de serrures, viennent compléter l’uniforme. Au costume, ils ajoutent une canne en or (ou en cuivre pour les débutants), qui est en réalité une arme très dangereuse. Dans les deux autres nouvelles du même univers, « Menvatt Blues » et « Menvatt Requiem », l’auteur développe les thèmes de la vengeance et de la légitimité de la violence. Avec les nuances qui s’imposent et un talent d’écrivain certain, l’auteur a su créer un monde assez complet et intégrer toutes les questions morales reliées à la justice parallèle.
Les cinq autres nouvelles se partagent équitablement entre le fantastique et la science-fiction. « L’Appât stellanixe » présente un monde futuriste malheureusement à peine esquissé dans lequel une jeune femme d’une race très importante pour ses geôliers est utilisée comme appât. Lorsque j’ai lu « Tout s’arrête lorsqu’ils le coupent », j’étais dans une salle d’attente dans un hôpital, et je dois avouer que cette très courte nouvelle fantastique, très forte en émotion, m’a remuée. « Porte ouverte sur Methlande » est celle dont la fin m’a beaucoup déçue : alors que le thème était intéressant et traité de façon originale – une jeune femme qui vit à la fois dans la réalité et dans le monde des rêves sous une identité différente, et qui intervient dans le monde des rêves pour y défendre son royaume –, la fin s’est révélée assez incongrue. La nouvelle « Futureman », qui joue avec le difficile thème du voyage temporel, est intéressante, tout en étant plutôt classique : alors que le voyage dans le temps permet le tourisme temporel, des redresseurs de torts officiels empêchent des touristes imprudents de changer le cours de l’histoire. Bien écrit, mais sans surprise pour un lecteur de SF aguerri. « Le Sang noir », le tout dernier texte du recueil est une excellente nouvelle fantastique qui met en scène un homme qui a l’imprudence de laisser sa femme et ses deux petites filles monter en voiture avec un inconnu une nuit de premier de l’an, alors que leur voiture est en panne et qu’il attend une dépanneuse. Il ne les reverra jamais. C’est le début de la descente aux enfers, avec une seule obsession : les revoir. Mais dans le sang de l’homme coule la haine et la vengeance qui pousse à la vengeance. Et la vengeance peut mener à bien des choses, y compris conclure des pactes dont on ne sort que rarement gagnant.
En conclusion, Noires Nouvelles est un bon recueil d’un auteur qui faisait déjà montre dans ses débuts d’une bonne maîtrise du récit, d’une plume précise et efficace, et d’un univers personnel complexe qui ne laisse pas indifférent. Je ne crois pas que je lirai ses séries jeunesse – littérature qui me captive moins –, mais je lirai assurément ses futures publications (nouvelles ou romans), et vais commencer par rattraper mon retard en me procurant sa novella L’Ancienne Famille, parue aux Six Brumes en 2007. Un auteur à suivre, assurément.
Pascale RAUD