Mathieu Fortin, Le Serrurier (Fa)
Mathieu Fortin
Le Serrurier
Montréal, Coups de tête, 2010, 132 p.
Le Protocole Reston, précédent roman de Mathieu Fortin chez Coups de Tête, pastichait les films de zombies en proposant un collage des poncifs du genre, le tout transposé dans la ville de Trois-Rivières. Ce dernier roman s’adressait aux inconditionnels des morts-vivants. Avec Le Serrurier, on nous offre une histoire tout à fait différente, qui ne se réclame pas des ornières d’un genre préétabli, et qui est susceptible, à mon avis, de rejoindre un public plus large ; personnellement, il m’a beaucoup plus intéressé.
Le Serrurier nous raconte l’aventure de Vincent et Rachel, dont la rencontre fortuite dans le Trois-Rivières contemporain débouche sur une passion charnelle qui ferait passer le plus débauché des satyres pour un cardinal. Cette passion dévorante, excessive, est-elle liée à une autre histoire d’amour, celle qui a eu lieu entre Fernando et Emilia dans la Florence du XVIIe siècle ? Profitant d’un montage alterné assez bien agencé, le lecteur assiste aux évolutions parallèles des deux histoires. Celle de Vincent et Rachel trouve un dénouement fantastique, assez intéressant, peut-être expliqué par les épisodes de sorcellerie ayant marqué l’aventure de Fernando et Cecilia. Vincent pourra-t-il comprendre et conjurer une malédiction jetée à l’origine par la famille Médicis ? Au lecteur d’y voir, en dire davantage risque de déflorer le mystère qui alimente Le Serrurier.
Parce que le rouage essentiel de ce roman repose sur les questions que suscite en nous la superposition des deux trames. Pas de zombies ou de courses effrénées, mais un mystère qui s’ajoute goutte à goutte et qui nous intrigue assez pour lire le récit jusqu’à la fin. La prose étant très légère, on tourne les pages rapidement et ce Serrurier se lit en une heure, le temps d’une journée passée dans le métro, l’autobus ou la voiture…
De fait, je crois que ce roman vise une clientèle particulière : celle qui veut lire une histoire rapidement, sans se casser la tête. Le Serrurier pourrait satisfaire ce type de lecteur. Je crois cependant qu’il risque de laisser affamé le lecteur qui, de nature ou parce qu’il est disposé, veut s’immerger totalement dans un autre monde. Si les scènes qui se passent dans l’Italie du XVIIe siècle sont intéressantes, j’ai éprouvé de la difficulté à me les représenter et à y croire. D’abord, les réflexions de Fernando, ainsi que les répliques d’Emilia ou des Médicis, sont entachées d’expressions contemporaines. Il me semble qu’un travail supplémentaire aurait dû être fait pour que les personnages pensent et agissent comme les individus de la Renaissance, et ce sans recourir à un vocabulaire ancien (voir, par exemple, La Jeune fille à la perle). Aussi, je crois que la légèreté volontaire donnée au texte a contribué à mes difficultés : la prose, dépourvue de toute lourdeur, manque à mon avis de descriptions : elles sont si rares que j’ai même été incapable de me représenter la ville de Trois-Rivières.
Enfin, je dois mentionner que le joual employé dans les passages contemporains pourrait constituer un obstacle pour certains lecteurs. Le joual ne me choque pas, mais on dirait qu’au-delà d’un certain niveau, il rend les dialogues difficiles à lire – est-ce l’emploi trop fréquent d’élisions ou de certains mots, je ne peux malheureusement le dire. Déclamés, les dialogues du Serrurier fonctionnent, mais leur lecture m’a été pénible et ils m’ont donné l’impression que tous les Québécois du récit étaient des attardés. C’est avec bonheur que je retrouvais les séquences se déroulant dans l’Italie de la Renaissance, beaucoup plus fluides.
Le Serrurier vaut, je crois, un petit détour pour l’originalité de son sujet de base et il reste, malgré ces choix qui pourraient rebuter le lecteur exigeant, un compagnon de lecture agréable. C’est un peu comme acheter une crème glacée un jour d’été, quand on veut combler un creux. Et j’adore la crème glacée.
Philippe-Aubert CÔTÉ