Mathieu Blais et Joël Casséus, ZIPPO (SF)
Mathieu Blais et Joël Casséus
ZIPPO. Il était une fois dans l’œuf
Montréal, Leméac, 2010, 135 pages.
Un météore censé percuter la Terre dans un futur proche. Une situation mondiale critique, digne des plus apocalyptiques scénarii millénaristes. C’est dans ce contexte de fin du monde inévitable que le sommet de la ZIPPO, inspiré de ces regroupements des bonzes de la société moderne que sont les sommets du G8, du G20 ou de la ZLÉA, est sur le point de se tenir dans une cité non innocemment nommée Villanueva. Dans cette ville nouvelle (qui n’est pas Montréal, mais qui pourrait bien l’être), la répression policière des macoutes a des allures de grand nettoyage : pornoputes et claquedents en font furieusement les frais. Un retour à la barbarie primitive, où les auteurs Mathieu Blais et Joël Casséus partagent leur vision cauchemardesque d’une utopie froide rappelant les fantasmes déments des fascismes et totalitarismes nazis. Le futur sera barbelé et impitoyable.
Deux militants altermondialistes préoccupés par la tangente que prend depuis quelque temps la société ont uni leurs voix alarmistes pour dépeindre un monde gagné par la droite radicale. N’est-il pas vrai que l’on assiste depuis une douzaine d’années à un triste spectacle où les metteurs en scène dressent de plus en plus de murs et de barrières entre une élite gouvernante et les revendications massives du peuple, bien souvent tenu à distance et coupé des grandes décisions qui finissent néanmoins toujours par le concerner ? Le fait que l’un des auteurs soit professeur de sociologie au collégial et que l’autre ait à son actif la publication de poèmes engagés laisse une empreinte, une couleur vive à ce roman coup de hache qui vient dénoncer l’inquiétant recul des libertés individuelles.
ZIPPO exprime à travers une vision prophétique catastrophée les excès barbares de cette époque du Grand Bouleversement à travers une pluralité de points de vue, notamment celui de Kahid. Ce reporter indépendant d’esprit est assigné à la couverture du sommet politico-économique, horrible présage d’un avenir encore plus injuste, par un journal qui n’est devenu que le porte-voix du pouvoir et des institutions en place. Miradors, grilles et périmètres de sécurité fortifiés constituent le décor d’un théâtre inhumain où le fascisme de la peur est à l’affiche.
Plus qu’un roman noir futuriste, ZIPPO loge à la frontière rarement visitée du polar et de la littérature d’anticipation. Voilà un témoignage saisissant de notre début de siècle tourmenté. L’écriture elliptique, très travaillée, stylisée et poétique, a tôt fait de nous convaincre du caractère irrespectueux des dogmes syntaxiques : la phrase s’en trouve alors maintes fois amputée de son sujet, syncopée comme si elle était elle-même le reflet de cet univers morcelé et tendu.
Il n’est pas impertinent de savoir que Zippo est depuis 1932 une marque américaine de briquets. Si sa charge n’est pas enlevée, il appert qu’un briquet Zippo est classé comme un objet potentiellement dangereux aux États-Unis et en Allemagne… Si la poésie est une arme, alors ZIPPO est la mèche incandescente du Grand Reset final, l’aboutissement redouté du Nouvel Ordre mondial annoncé par ce cauchemar – que certains jugeront paranoïaque – de deux auteurs sensibles aux signes troublants de leur époque. « Et les poings comme des masses », Blais et Casséus construisent le cadre fantasmé dans lequel aurait pu jouer un nouveau rôle l’intransigeant personnage d’Ailes (L), qui traquait à sa façon les manifestations et les dérives insidieuses du fascisme contemporain dans le romanComment devenir un ange de Jean Barbe – incidemment sous la direction de qui ZIPPO est publié aux éditions Leméac…
Franz Kafka écrivait à son ami Oskar Pollak que la lecture d’un livre devrait être ressentie comme un coup de hache servant à fendre la mer gelée figeant le lecteur. Dédicacé aux morts, aux résistants, ZIPPO fracasse tout et n’épargne personne. Gare aux éclisses de mots, elles peuvent être bien coupantes.
Simon ROY