François Lévesque, L’Esprit de la meute (Fa)
François Lévesque
L’Esprit de la meute
Lévis, Alire (Romans 137), 2011, 365 p.
Ceux qui ont apprécié les romans policiers de François Lévesque seront intéressés par L’Esprit de la meute.Bien qu’il s’agisse d’un récit fantastique, le côté polar qui a fait le bonheur des lecteurs d’Un automne écarlate est au rendez-vous, sans oublier le style et les références cinématographiques caractéristiques de son auteur. Que vous aimiez ou non est une autre question, mais il y a une forte chance que vous passiez un bon moment si, comme moi, vous avez embarqué à fond dans les Carnets de Francis.
Certains sourcillent : pourquoi commencer cette critique par des affirmations gratuites ? Parce que pour commenter L’Esprit de la meute, il me semble nécessaire d’aborder certains détails susceptibles d’en déflorer l’intrigue. Vous êtes prévenus : si vous souhaitez vous gardez quelques surprises, cessez de lire maintenant.
Bon, vous êtes certains de vouloir continuer ? Entendu. Passons au résumé.
Après le décès accidentel de ses riches parents adoptifs, qui le comblaient de cadeaux, mais ni d’attention et encore moins d’affection, le jeune David, soucieux de donner un sens à son existence, parvient à retracer Macha, sa mère biologique. Pour la rencontrer, il se rend à Sainte-Sybile, une ancienne ville minière perdue dans la forêt boréale. Alors que David apprend à connaître sa jeune mère, et qu’il se lie d’amitié avec Irène, une adolescente habitant à proximité, d’étranges cauchemars commencent à le harceler. Parallèlement, une bête mystérieuse se met à ravager les environs de Sainte-Sybile. S’agit-il d’un ours, comme l’affirme la Police, ou d’un loup-garou, comme David croit l’avoir vu ? La ville est-elle victime d’une ancienne malédiction amérindienne dont l’origine se perd dans le passé minier de la région ? Quels sont les liens entre le loup-garou et David ?
Les histoires de loups-garous (un autre de mes péchés mignons) se classent selon moi en deux catégories (sans en exclure d’autres) : les histoires « classiques » où l’on adopte le point de vue des victimes (des gens aux prises avec une bête mystérieuse qui se révèle être un loup-garou, voir Peur Bleue de Stephen King) et les histoires « contemporaines » où l’on admet l’existence des loups-garous explicitement dès le départ, et où l’on s’intéresse à leur mode de vie, leur vision du monde et leurs relations avec l’humanité (voir L’Heure du Loup de Robert McCammon, Garouage de Nancy A. Collins). L’Esprit de la meute s’inscrit dans la première catégorie, mais qui dit « classique » ne dit pas automatiquement « dépassé » et « ennuyeux », au contraire ! Dans ses livres précédents, François Lévesque a démontré son habileté à jouer avec les mécanismes du thriller, nous proposant des intrigues bien huilées, des scènes intenses et des dénouements à multiples révélations. L’Esprit de la meute le confirme : en recevant un exemplaire, je n’étais pas disposé à le lire immédiatement, mais par curiosité j’ai parcouru les premières pages… et j’ai arrêté rendu à la dernière. Le sens du thriller de l’auteur, jumelé à son style travaillé (proche du style d’un Sernine, selon un autre critique), engendre un récit captivant et agréable à lire, où l’on ressent l’atmosphère des lieux comme si on y était. L’implication du lecteur est optimale et même les amateurs d’histoires de loups-garous plus « contemporaines » (comme votre serviteur) pourront se régaler. Personnellement, j’ai trouvé intéressante l’origine donnée aux lycanthropes de Sainte-Sybile, ensorcelés par le Wendigo du folklore autochtone. Si les esprits amérindiens sont mentionnés dans les contes québécois sur les loups-garous (voir chez Honoré Beaugrand ou Robert Choquette), leur intervention dans L’Esprit de la meute est le fruit d’un incident original, beaucoup plus convaincant que l’acte zoophile générateur de lycanthropes évoqué dans le film récent Le Poil de la bête.
Si j’ai éprouvé un plaisir (coupable ?) à lire une histoire de loups-garous québécois sévissant dans le monde d’aujourd’hui, je dois avouer que l’emploi du joual pour souligner la nature locale de l’action m’a gêné. Si la « parlure québécoise » écrite peut donner une couleur locale aux protagonistes d’un roman et augmenter l’effet de réalité, elle peut se révéler difficile à lire et, surtout, donner l’impression que les personnages sont peu instruits ou attardés – c’est l’impression qui ressort des discussions que j’ai eues avec d’autres lecteurs sur le sujet. Dans L’Esprit de la meute, j’ai tiqué lorsque David, pourtant bien éduqué, ou son avocat, ou même Irène, ponctuaient leurs répliques d’élisions et de tournures approximatives (à différents degrés, certes, mais malgré tout…). Il n’y a que pour le père biologique de David, un toxicomane, qu’un niveau de langue abaissé m’a paru convainquant et pertinent.
Aussi, je dois mentionner certaines incohérences comportementales qui m’ont agacé, les protagonistes agissant parfois d’une manière contraire au sens commun. Si je prends le cas de David, je n’ai pas cru que, sous l’effet d’une « impulsion soudaine », il se lance tête baissée à la rencontre de son supposé père biologique, un ancien détenu violeur et violent – même si la scène qui s’ensuit est très efficace. Je n’ai pas cru, non plus, que David puisse s’aventurer de nuit dans les bois, sans lampe, alors qu’un monstre rôde autour. Une justification de ces « impulsions » est vaguement suggérée lors du dénouement, mais trop tard pour éviter au lecteur exigeant quelques grincements de dents.
Cependant, ces quelques travers s’endurent avec un peu de volonté. Il serait dommage de les laisser nous barrer le chemin : cela nous priverait de scènes intenses, susceptibles de rester gravées dans notre mémoire…
Philippe-Aubert CÔTÉ