Jean-Simon DesRochers, Demain sera sans rêves (SF)
Jean-Simon DesRochers
Demain sera sans rêves
Montréal, Les Herbes rouges, 2013, 131 p.
Jean-Simon DesRochers est un jeune écrivain québécois dont l’œuvre compte à ce jour deux recueils de poésie et trois romans. Ayant reçu, de la part de la critique et du public, un accueil chaleureux, ses deux premiers romans lui ont notamment valu d’être finaliste au Prix des libraires. Demain sera sans rêve, son troisième roman publié aux éditions des Herbes rouges, se présente en quatrième de couverture comme un hybride à la frontière du « réalisme sale » et de l’anticipation science-fictionnelle.
Marc Riopel, un doctorant trentenaire, décide de mettre fin à ses jours. Il se rend dans la maison des vents, espace sacré de son enfance où son frère, Carl, leurs amies, Myriam et Catherine, et lui-même avaient coutume de se réunir. Alors que l’aiguille de la seringue avec laquelle il vient de s’injecter une dose mortelle de drogue est encore fichée dans son bras, Marc est envahi par des vagues d’images, de souvenirs – les siens et ceux de ses amies et de son frère – et de visions d’événements à venir. Plusieurs années après la mort de Marc, la technologie permet en effet le transfert de pensées entre deux individus, et ce, même si ces derniers sont séparés par des décennies. En partageant leurs souvenirs avec Marc, Carl, Myriam et Catherine lui permettent de vivre des événements dont, dans la mort, il ne pourra être le témoin.
Le lecteur suit Marc dans son exploration des fragments de mémoire, passée et future, de son frère et de ses amies : Carl, qui décide de lire puis de compléter la thèse inachevée de Marc afin de comprendre ce qui a poussé ce dernier au suicide ; Myriam, qui, de première de classe, devient astronaute, puis amante, puis mère ; Catherine, qui est plongée dès son adolescence dans l’enfer de la maladie mentale, de la drogue et de la prostitution. Les souvenirs des quatre protagonistes nous sont présentés dans le désordre et narrés à la deuxième personne du pluriel. La narration est fragmentée, saccadée, le lecteur pourrait facilement s’y perdre. Or, le très court roman se lit rapidement, d’une traite, comme un poème en prose se déclinant en une série d’impressions, d’instantanés présentés en une suite de flashs ininterrompus.
Dire que le style de DesRochers est épuré est un l’euphémisme. De fait, un lecteur attentif aura du mal à trouver dans Demain sera sans rêves un seul adverbe, un seul complément circonstanciel en tête de phrase, une seule phrase alambiquée. L’écrivain vacille adroitement entre le cérébral et l’organique, entre le beau et l’indicible. Il propose – dans une langue qui, si elle est parfois crue et dure, ne tombe jamais sans raison dans la vulgarité – une réflexion juste sur la création, la futilité, la résilience, la construction de l’identité à travers des souvenirs qu’on sait faillibles.
Les lecteurs de science-fiction qui s’attendent à ce que DesRochers explore de manière novatrice les thèmes – avouons-le un peu fatigués – que sont le téléversement de pensées et la singularité technologique, seront déçus. Le matériau science-fictionnel est ténu, ses assises, bancales, son traitement, assez cliché. DesRochers le reconnaît d’emblée et sans réserve, la technologie dans Demain sera sans rêves n’est qu’un prétexte. Cela devient évident pour le lecteur dès les premières pages. Comme le font malheureusement beaucoup d’auteurs de littérature générale, DesRochers se sert de la science-fiction comme d’un simple gadget, d’un artifice qui ne fait office que de substrat narratif. C’est très dommage.
Ceci dit, il faudra sans conteste surveiller le travail de ce jeune écrivain de talent dans les prochaines années, même si son œuvre ne fait qu’effleurer les genres qui nous intéressent.
Jérôme-Olivier ALLARD