Alexandre Delong, 2054 (SF)
Alexandre Delong
2054
Montréal, XYZ, 2013, 344 p.
Ethan Price n’est pas seulement un jeune homme brillant, il est aussi un investissement prometteur dans le monde de 2054, où le développement économique des sociétés les plus riches mise désormais sur le capital humain avant tout. Le cours de son action atteint un sommet sans précédent quand il complète ses études en médecine et se fait engager par le meilleur hôpital de la Globalopole. Dans ce nouvel avatar de l’agglomération new yorkaise, Ethan sera appelé à collaborer avec le docteur Charles Huxley, qui a mis au point le test qui permet de déterminer le potentiel intellectuel, et donc économique, des nouveau-nés. Seulement, il se rend bientôt compte qu’il éprouve une attirance très relative pour le travail de médecin au service des nantis dans le cadre d’une institution essentiellement privée. Son frère Julian, qui a moins bien réussi, essaie de lui faire découvrir la vie des miséreux dans le monde à l’extérieur de l’Archipel des privilégiés, mais Ethan revient dégoûté de leur équipée en Amérique du Sud. Pourtant, pour élucider le mystère de la mort de son frère et de leurs origines, Ethan finira par fuir pour de bon l’Archipel.
Delong signe un roman très noir sur un futur dystopique qui évoquera pour certains une forme de cyberpunk actualisé. Le livre reproduit quelques captures d’écrans typiques de cet avenir pas si lointain afin de donner plus d’épaisseur au scénario. Ce qui distingue 2054 d’un roman cyberpunk du siècle dernier, c’est sa dimension moralisatrice qui, à la rigueur, l’apparente plutôt aux romans policiers qui avaient inspiré William Gibson. Ethan finit par découvrir la réalité sur ses parents, mais il en paie le prix avec sa vie. Et la machine capitaliste de l’Archipel ne sera pas menacée par ses découvertes, l’auteur ne faisant miroiter aucun espoir de transcendance, contrairement au trope cyberpunk de la dématérialisation de l’intelligence.
Delong ne pousse l’exploration de ce futur que jusqu’au point nécessaire à sa démonstration. Les mécanismes d’une économie axée sur le capital humain restent obscurs. Même les carrières les plus brillantes et les plus lucratives ne pourraient justifier une valorisation significative, sauf dans le cadre d’une bulle spéculative qui feraient des humains du XXIe siècle l’équivalent des bulbes de tulipes hollandaises du XVIIe siècle. L’extrapolation a surtout pour objectif de souligner les défauts de notre présent, sinon de ses tendances lourdes.
Ainsi, l’Archipel rappelle le Village de Serge Lehman et son cloisonnement absolu entre deux mondes sur la même planète. Riches et pauvres sont condamnés à ne jamais se rencontrer. La dénonciation d’une certaine mondialisation pointe sous le scénario et inscrit 2054 dans la lignée d’ouvrages québécois engagés comme ZIPPO et les volumes de la série « Élise » chez Coups de tête. Après la mise en place initiale, l’intrigue s’essouffle, car Ethan incarne un personnage qui ne sait pas toujours ce qu’il veut. Le dénouement qui le ramène en Amérique du Sud et lève le voile sur son passé repose sur un ensemble de coïncidences digne d’un mélodrame du XIXe siècle. Toutefois, l’anticipation est si rarement le point fort de la science-fiction québécoise que 2054 mérite de figurer au nombre des exceptions les plus remarquables.
Jean-Louis TRUDEL