Héloïse Côté, Le Garçon qui savait lire (Les Voyageurs -2) (SF)
Héloïse Côté
Le Garçon qui savait lire (Les Voyageurs -2)
Lévis, Alire (Romans 156), 2014, 468 p.
Les Ombres contrôlent toujours davantage de monde au Daëlisar. Les Voyageurs de Lumière en sont partis pour un autre monde éventuellement plus clément. Mais ils ont laissé derrière eux plusieurs de leurs congénères : Neros « Celle qui rassemble », dont les pouvoirs se développent peu à peu, et son jumeau Enan, qu’elle a retrouvé dans le premier volume, avec l’ancienne amante de celui-ci, Maris, une Daëlle qui a connu une vie mouvementée. Hélas, une catastrophe a frappé le clan de Neros et les coordonnées de la Porte donnant accès à l’autre monde sont perdues. Les compagnons vont avoir fort à faire pour les trouver, entre Balaferos, la Voyageuse traîtresse qui sert les Ombres, les Daëls qui pourchassent les « Enflammés » et divers voleurs, soudards et autres prêtres fanatiques du Daëlisar.
Pendant que le malheureux Ganelan, prisonnier d’une Ombre particulièrement puissante qui s’est emparée de son corps pour se joindre à Neros et aux autres, essaie en vain de prévenir ses amis, voilà que Neros disparaît – Les Bannis, le mystérieux groupe de Voyageurs qui l’ont aidée jusque-là, se révèlent enfin à elle, pour lui apprendre que la situation est bien plus complexe qu’elle ne le pensait : non seulement ce qu’on lui a appris toute sa vie est troué de lacunes mais encore quantité de mensonges délibérés de la part des Anciens ont considérablement déformé la vérité. Et il existe des créatures intermédiaires, les Crépusculaires – issus des Ombres, mais incarnés – qui ne sont pas nécessairement des ennemis. L’un d’eux, Taupher, vient aider le petit groupe à échapper à ses divers poursuivants et à se rendre dans un autre monde. Un monde bien étrange, et d’apparence peu engageante au premier abord : il a visiblement été ravagé autrefois par un cataclysme. Ils y sont provisoirement en sécurité et Licien, le garçon qui savait lire, a la joie d’y retrouver son grand-père Timar, qu’il croyait mort. Mais tous les autres se voient infliger un déluge de révélations toutes plus bouleversantes les unes que les autres. Enan ne les a pas suivis, Maris enceinte apprend que sa relation avec lui a peut-être manipulée par le maléfique Anedaran, ce qui augure mal pour la suite des événements, celui-ci se cherchant un corps approprié où s’incarner. Neros quant à elle est devenue plus que Neros et, dans sa nouvelle puissance, elle est peut-être perdue pour ses compagnons.
Le deuxième volume de la trilogie d’Héloïse Côté ne souffre pas du syndrome du livre-du-milieu, au contraire. À travers les péripéties et les dangers qui assaillent de toute part les héros, on ne cesse d’apprendre des détails essentiels à la fois sur l’intrigue et sur l’arrière-monde où elle se déroule. Et surtout, les visites dans les autres univers sur lesquels ouvrent les Portes de Lumière confirment l’intuition née de la lecture du premier volume : on se dirige de plus en plus vers la « science fantasy », un mélange de fantasy et de science-fiction qui a connu de beaux jours autrefois mais dont le charme ne se dément pas. Contrastes plaisants, donc, entre l’archaïsme du Daëlisar et les modernités plus ou moins futures évoquées par les descriptions des autres mondes. On s’interroge cependant un peu sur le titre choisi pour le volume : si Licien, par ses lectures, apporte plusieurs informations importantes, il ne joue pas un rôle de premier plan. Et, du point de vue technique, les retours en arrière au présent, qui passaient très bien dans le premier volume, montrent un peu leurs coutures dans celui-ci, où ils sont employés pour des passages beaucoup plus longs. Rien qu’une astuce typographique du genre passage de ligne ou astérisques ne saurait résoudre dans le prochain volume, mais cela rend la lecture parfois un peu déconcertante.
Toutefois, l’intrigue foisonnante est ficelée serré, les personnages suivent leur évolution logique – avec un refus courageux de les sauver à tout prix ou de les rendre trop sympathiques : on constate à travers le saut d’un point de vue à un autre qu’ils ont tous leurs obsessions et leurs points aveugles. Et surtout, le coup de théâtre qui clôt ce deuxième volume est un superbe tremplin pour le troisième et dernier tome de la trilogie, qu’on espère lire bientôt.
Élisabeth VONARBURG