Marilou Addison et Eve Patenaude, Cobaye 1 et 2 (SF)
Marilou Addison
Anita (CobAye)
Boucherville, De Mortagne, 2014, 328 pages
Eve Patenaude
Sarah et Sid (CobayeS)
Boucherville, De Mortagne, 2014, 320 pages
Aussitôt que j’ai appris l’existence d’une nouvelle série d’horreur québécoise, j’ai voulu en savoir plus. Contrairement à d’autres genres (fantasy, fantasy urbaine, thriller fantastique…), les romans d’épouvante ne sont pas légion ici. En tant qu’amateur, si on a lu tout Patrick Senécal, Claude Bolduc, Frédérick Durand, Ariane Gélinas, les anthologies de La Maison des viscères…, on a fait le tour, à quelques livres près. Alors, il faut savoir profiter des rares sorties quand elles se présentent.
Et voici que sept auteurs (Marilou Addison, Alain Chaperon, Eve Patenaude, Martin Dubé, Madeleine Robitaille, Marc-André Pilon et Carl Rocheleau) se réunissent pour offrir autant de romans. Ce qu’ils proposent aux fans d’horreur ? La série Cobayes. Des personnages qui ne se connaissent pas entre eux et qui répondent, pour diverses raisons, à l’annonce d’une compagnie pharmaceutique. Ils sont loin de se douter des effets secondaires de l’expérience en cours. Les livres se lisent de façon indépendante et/ou en lien avec les autres. Dans l’ordre ou dans le désordre. Un détail intéressant : chaque sous-titre commence par une lettre du mot Cobayes (exemple : cobAyes = Anita / cobayeS = Sarah et Sid).
Le premier livre paru, écrit par Marilou Addison, se nomme Anita et raconte l’histoire d’une jeune femme complètement obsédée par son corps. Elle donnerait n’importe quoi pour maigrir. Déjà qu’elle se fait vomir et ne mange presque rien… Autour d’elle, personne ne la comprend, personne ne veut l’aider dans son combat contre elle-même. Son chum la surveille, aidé par sa mère… Qu’il la laisse donc tranquille s’ils ne la supportent pas ! Voici qu’un miracle se présente sur sa route : la compagnie AlphaLab paie un bon montant à tout participant atteint de dépendance(s) et/ou de troubles anxieux. Elle s’y rend et, à son plus grand bonheur, est acceptée comme cobaye. Après la première injection, quelques effets secondaires se manifestent…
L’illustration de couverture frappe dès qu’on y pose les yeux : on ne passe pas par quatre chemins pour nous promettre un récit bien sanglant. Je salue l’audace de la maison d’édition, c’est assez rare au Québec qu’on s’affiche ouvertement gore.
Ceci étant dit, qu’en est-il du contenu ? Est-ce que les promesses sont tenues ?
Le lecteur peut rapidement se glisser dans la peau (et les os) d’Anita mais pour en sortir, ce n’est pas aussi évident. On reste avec ce sentiment d’étouffement, de rage… et un appétit vorace commence à nous tourmenter, tout comme le personnage principal. C’est que le style de l’auteure contribue à faire vivre chez le lecteur l’obsession malsaine d’Anita. Dans les premières pages, on se demande quel âge a cette dernière. Une ado plutôt qu’une adulte ? Effectivement. Selon moi, c’est voulu car ce personnage n’est clairement pas mature, semble prêt à éclater d’une crise émotive à tout moment. On assiste à une progression lente mais certaine vers des effets secondaires pour le moins horrifiques…
L’horreur. Nous y voilà et une question nous vient inévitablement en tête : est-ce que l’amateur de gore sera satisfait ? Sans aucun doute : oui. Je ne veux pas trop en dévoiler mais disons que certaines scènes vont très loin et marquent l’esprit au fer rouge. Un délice pour les gourmands d’hémoglobine mais les cœurs sensibles doivent s’abstenir pour sérieux risques de nausées…
Quant à lui, le lecteur avide de mystère trouvera assurément son compte car la compagnie obscure, AlphaLab, derrière ces expériences, ne nous est pas trop dévoilé. Nous n’avons qu’un aperçu, assez bref, de qui ils sont et de ce qu’ils veulent. Et ça, ça donne le goût de découvrir les autres tomes pour mieux cerner l’ensemble de cette entreprise malsaine.
Anita se révèle donc, pour moi, une belle surprise, que je n’attendais pas. J’ai bien hâte de connaître les six autres cobayes mais surtout d’assister au terrible sort qui s’abattra sur eux…
À la fin du livre, on nous avertit qu’un chapitre final, en guise de bonus suite à la lecture des sept romans, nous attend sur un site spécial… question de faire durer les effets secondaires !
Mais en attendant cette ultime surprise, passons immédiatement au deuxième tome…
Si le premier était assez violent pour plaire aux fans de films d’horreur, Sarah et Sid s’annonce davantage versé dans le drame psychologique noir si l’on se fie à la couverture bien macabre mais plus subtile, ainsi qu’au résumé : c’est d’abord une histoire d’amour, celle de deux personnages profondément meurtris par d’obscurs événements de leur passé. Sarah, ballerine dans l’âme, et ses rêves engloutis par des années de danse nue dans un bar miteux. Sid, un pirate informatique, dont les nuits sont hantées par Charlie… Tous deux tomberont en amour et tenteront de s’aider mutuellement avec les fantômes du passé et les épreuves du présent. Pour le meilleur… mais surtout pour le pire.
Eve Patenaude ne s’était encore jamais aventuré dans le genre de l’épouvante et encore moins dans celui de l’horreur. J’admire les auteurs qui osent sortir de leur zone de confort. Mais pour les amateurs de ces genres, qu’en penseront-ils ?
Contrairement à Alfred Hitchcock, je ne laisserai pas durer le suspense plus longtemps : je ne peux pas parler au nom de tous les amateurs d’histoires de peur mais, pour ma part, j’ai aimé et je recommande.
Il se dégage une sensibilité contagieuse du style de l’auteure. À mon avis, c’est ce dont nombre de romans d’horreur manque : d’émotions vraies, d’attachement aux personnages (sans quoi, on se fout pas mal de ce qui peut bien leur arriver…) Car, oui, Sarah et Sid sont bien campés et donnent envie de les suivre au travers des déboires de leur vie. Les choix qu’ils font les amèneront de malchances en malchances… jusqu’au pied du mur où ils n’auront pas d’autres choix que d’entrer en contact avec AlphaLab. De l’argent qui semble tout droit venu du ciel… mais pour lequel ils vivront l’enfer.
J’adore quand un auteur construit quelque chose en première partie d’un livre pour ensuite venir tout détruire. Eve Patenaude le fait très bien dans Sarah et Sid en partageant avec nous l’intimité d’un couple naissant, de la réunion de deux personnes blessées par la vie. Nous espérons avec eux, nous voudrions que le destin devienne plus clément et là, crac ! tout s’écroule. Leur existence déjà mise à rude épreuve s’enfonce dans le chaos le plus total. Vers quelque chose de pire… C’est dans le drame que l’horreur est la plus puissante et dérangeante.
Ce deuxième livre de la série Cobayes s’intéresse donc davantage à la psychologie de ses personnages que le précédent, qui était plus axé sur une montée vers l’horreur, sur le subversif. Est-ce préférable ? Cela dépend de chaque lecteur. Je sens que chaque tome va être assez différent l’un de l’autre, ce qui est intéressant pour les amateurs d’horreur. Ainsi, ils ne peuvent pas vraiment prévoir à quoi ressemblera chaque nouveau livre. Un peu de diversité n’a jamais fait de mal à personne… dans ce cas-ci, elle vous tue ! J’ai hâte de voir si ma prévision tient la route. Le troisième tome annoncé porte, comme titre, le nom du prochain patient : Yannick.
Et ce Yannick, nous l’avons déjà croisé, en tant que lecteur, tout comme d’autres patients encore inconnus (pour le moment) au fil des pages. Car oui, déjà, on peut facilement remarquer que plusieurs liens ont été tissés entre Anita et Sarah et Sid. Sans trop en dévoiler, je peux vous confirmer qu’ils ne semblent pas forcés, imposés (juste là pour faire cool, comme dirait l’autre). Ils contribuent plutôt à créer un univers (ou plutôt une micro-société de victimes) cohérent. On devine aussi des liens avec les prochains livres…
Bon, je vous laisse. C’est l’heure de mon injection.
Jonathan REYNOLDS