Yves Meynard, Les Marches de la Lune morte (Hy)
Yves Meynard
Les Marches de la Lune morte
Lévis, Alire (GF), 2015, 627 p.
Pour la seconde fois, les éditions Alire ont choisi de donner une nouvelle vie à une œuvre préalablement parue en plusieurs volumes aux éditions Médiaspaul, sous une étiquette « jeunesse » quelque peu réductrice. Pour la seconde fois, en refermant l’ouvrage ainsi ressuscité, on éprouve une forte envie d’écrire chez Alire pour les remercier ! La première entreprise de réédition consistait à republier le cycle des Sylvaneaux de Joël Champetier, sous le titre Le Mystère des Sylvaneaux. Pour ce second projet, Les Marches de la Lune morte d’Yves Meynard, on s’éloigne de la simple réédition, car l’ouvrage comprend les trois livres antérieurement publiés aux éditions Médiaspaul, suivis de deux livres originaux qui complètent l’histoire.
Le récit nous transporte sur le Globe, au cœur de la Marche Orientale de l’Empire, dans le château à moitié en ruines du Margrave Théodore Szeleky. L’exploration de ces ruines fournit à Sébastien, le fils unique et esseulé du Margrave, l’un de ses rares loisirs. Lorsqu’il était plus jeune, Sébastien s’imaginait que, au détour d’un couloir oublié, il tomberait sur un trésor fabuleux et magique. Maintenant âgé de seize ans, il a perdu ses illusions : la magie a presque complètement disparu du monde et les secteurs abandonnés du château ne contiennent rien de précieux. Aussi est-il plus que surpris lorsqu’une porte franchie au hasard de ses errances le transporte sur la Lune ! Ce déplacement brutal n’est que le début de ses aventures. Sur la Lune, Sébastien découvre une société de magiciennes qui lutte pour sa survie. Entraîné malgré lui dans le combat que les Lunaires livrent à leurs mystérieux Ennemis, le fils du Margrave parvient à regagner le Globe, mais seulement pour y découvrir une Marche Orientale à jamais changée.
J’avais adoré les incursions précédentes d’Yves Meynard en fantasy, soit le Livre des Chevaliers et Chrysanthe (qui devrait être traduit en français prochainement), mais Les Marches de la Lune morte m’a tout simplement ravie ! Les intrigues ont un rythme plus soutenu, sans doute hérité du découpage en plus petits volumes, et les notions scientifiques sont expliquées avec simplicité et concision, ce qui confère au récit un parfum de science-fantasy des plus original. Spécifions aussi qu’on ne sent pas de rupture de ton entre la partie rééditée et la partie inédite du roman. D’une page à l’autre, l’écriture d’Yves Meynard, fluide et rapide, nous intrigue et nous entraîne.
Le personnage principal, Sébastien, est un adolescent, certes, mais il n’est pas inutilement rebelle ou entêté. C’est un jeune homme solitaire, conscient de sa position d’héritier. Sa mère étant morte en couches et son père étant le plus souvent absent, il a été élevé par ses vassaux, mais ceux-ci ont assouvi une bonne partie de son besoin d’affection et amoindri l’impact tragique de cette absence parentale. Bref, Sébastien est un personnage auquel on s’attache facilement, contrairement à certains héros ou héroïnes de romans « jeunes adultes » auxquels on a souvent envie de refiler une bonne paire de claques pour qu’ils arrêtent de pleurer sur leur sort. Il manque un peu de confiance en lui au début du récit, mais il apprend vite et sait s’adapter aux événements.
Au cours de ses aventures, Sébastien rencontre la Lunaire Loriel et celle-ci occupe dès lors une grande place dans le récit. Contrairement à Sébastien, Loriel est une adulte, mais son caractère hautain et capricieux, ainsi que ses différences culturelles, nous donnent parfois l’impression que les personnages ont le même âge ou même que Sébastien est le plus mature des deux. L’auteur n’empruntant jamais le point de vue de Loriel ou des autres Lunaires durant la narration, ceux-ci conservent une aura mystérieuse qui ne les rend pas toujours sympathiques, mais qui contribue à l’ambiance et à la profondeur du roman.
Car Les Marches de la Lune morte n’est pas un simple récit initiatique doublé d’un combat du Bien contre le Mal comme il s’en trouve tant en fantasy. La prédominance des femmes dans la société lunaire amène de savoureux renversement des clichés concernant les sexes. L’auteur s’est visiblement livré à des réflexions dans la lignée des Chroniques du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg. De plus, les conflits politiques et armés qu’on retrouve dans le roman sont de grande envergure. Les personnages principaux doivent donc se positionner par rapport à des événements qu’ils ne peuvent contrôler, ce qui les amène à réfléchir à leurs aspirations profondes et à leur vision d’eux-mêmes.
Au moment de refermer le livre, on admire les choix effectués par les personnages, mais la fin ouverte nous cause un pincement au cœur. La virtuosité du récit est telle que Sébastien est presque devenu un ami et on espère qu’une ère de paix l’attend dans les Marches de la Lune morte.
Geneviève BLOUIN