Marc Sévigny, La Malédiction de l’ogre (SF)
Marc Sévigny
La Malédiction de l’ogre
Montréal, Recto Verso, 2015, 267 p.
Depuis quelque temps, une vague steampunk fait fureur dans à peu près tous les domaines artistiques. L’éditeur Recto Verso, désireux de laisser sa marque dans le genre, lançait en février la collection Série steampunk avec deux titres ; l’un d’entre eux, La Malédiction de l’ogre, fait l’objet de la présente critique. Malgré toutes les bonnes intentions de l’auteur et de l’éditeur, le résultat s’avère plutôt hésitant.
Dans un univers constitué de trois mondes, un ogre libidineux sème pagaille et destruction à l’aide de son armée de farfadets. Mais là où des alliances devraient se créer afin de contrer le danger que représente la créature, les dirigeants des mondes préfèrent s’affronter afin d’obtenir la plus grande part du gâteau dans cette guerre aux conséquences dévastatrices. Elgire et Arundel, respectivement guerrière et mage, seront envoyés pour sceller une alliance qui permettra non seulement d’unir les forces face au combat contre l’ogre, mais aussi de trouver le moyen de sauver la ville de Cornach contre l’épidémie qui sévit. Sur tous les fronts, un seul sortira perdant : l’ogre, qui n’est en fait qu’un pantin au service d’une cause menaçant la destruction de l’univers.
Il convient tout d’abord de relever quelques points positifs à l’œuvre de Marc Sévigny : le style fluide rythme une lecture quelque peu parasitée par des phrases bancales, telle « C’était horrible, immonde » (p. 65) et ajoutons à cela un effort sur le plan de la caractérisation de certains personnages, qui va au-delà du simple stéréotype. Même s’ils ne sont pas toujours convaincants, la plupart des protagonistes et antagonistes ont le potentiel de s’émanciper du cadre dans lequel l’auteur les confine dans ce premier volume.
En dépit des quelques rares bons points, le roman de Sévigny n’arrive pas à captiver l’intérêt en raison de son éparpillement. Pour preuve, l’œuvre se déroule dans un univers moyenâgeux où la radiation et l’épilepsie ont été découvertes, et où les gens se promènent en cyclomobile et se battent avec des sabres et des pistolets lasers. Le mélange des genres se révèle souvent très complexe à réaliser. Pire encore : en ignorant les principes de base desdits genres, il est d’autant plus délicat de jouer avec les frontières les délimitant. Qu’un ogre soit parfois aussi appelé géant passe toujours, mais que des farfadets soient nommés, au gré de l’inspiration, nains ou gnomes m’est tout à fait inconcevable, et ce, même s’ils font partie de la même famille dans le folklore européen. Et c’est là que l’auteur pèche malheureusement par excès : à vouloir insérer trop d’éléments dans son histoire, il la fait pulluler de non-sens et de contradictions. Prenons pour exemple le terme « monde » qui désigne très vaguement un endroit précis de son « univers », terme tout aussi vague dans ce roman. Étant donné la définition large qu’il revêt, « monde » est ici utilisé dans un sens plus restreint avoisinant celui du mot « royaume ». À moins qu’un monde, dans l’œuvre de Sévigny, corresponde à une réalité parallèle, chose impossible à déterminer à la lumière des quelques indices offerts, il est difficile de le voir autrement que comme un manque de finesse dans le travail d’élaboration de l’histoire.
La Malédiction de l’ogre n’est donc pas une œuvre aboutie. Une direction littéraire resserrée aurait permis de corriger l’utilisation inappropriée d’un vocabulaire contemporain – le terme « ultrasecret » ou le juron « putain », par exemple – et de revoir le style jeunesse où les scènes de sexe décrites avec moult détails créent un profond malaise, surtout à cause des propos misogynes intégrés, j’ose l’espérer, de façon involontaire. L’intrigue, quant à elle, patauge considérablement, comme si l’auteur la construisait au fur et à mesure. Les motivations de nombreux personnages demeurent floues même une fois la dernière page tournée et le monde dans lequel ils évoluent reste à peine esquissé. Vous l’aurez compris, Marc Sévigny n’a malheureusement pas su me convaincre.
Mathieu ARÈS