Daniel Sernine, Ce qui reste de démons (Fa)
Daniel Sernine
Ce qui reste de démons
Sherbrooke, Les Six brumes (Brumes de légende), 2016, 129 p.
Deux ans après nous avoir terrifiés avec ses Petits Démons, Daniel Sernine nous revient pour un dernier tour de piste à glacer le sang avec Ce qui reste de démons, un recueil de quatre nouvelles qui vient compléter le cycle débuté avec son précédent recueil, autour des villes de Neubourg et de Granverger. Ce sont les éditions des Six Brumes, à travers leur collection Brumes de légende qui sont derrière cette réédition des textes initialement parus entre 1979 et 1997 dans différentes revues.
« Le Sorcier d’Aïtétivché » nous transporte au dix-septième siècle, un peu plus de quatre ans après la fondation de Granverger, qui ne compte que trois maisons à demi protégées par une palissade. Les habitants s’inquiètent des rituels païens menés par les Indiens des environs, et lorsque les enfants des habitants du village commencent à disparaître, les soupçons se portent rapidement sur Alexandre Davard, le seigneur de Neubourg et Granverger. Mais la vérité est pire que ce que les villageois pouvaient imaginer…
C’est avec plaisir qu’on retrouve un membre de la famille Davard, ainsi que les villages de Granverger et Neubourg, particulièrement si tôt après leur fondation. À la lecture de cette nouvelle, on comprend que le mal qui rôde dans la région est ancien, et que les Davard n’ont pas volé leur réputation de pratiquants de magie noire ! Soulignons également la présence de segments intercalaires qui font de la nouvelle un récit de type manuscrit retrouvé. Dans ces apartés contemporains, on retrouve là encore certains noms qui seront familiers au lecteur attentif de Sernine, le tout permettant de relier cette nouvelle au grand ensemble du cycle de Neubourg et Granverger. Un texte sombre et terrifiant, qui repousse les limites des horreurs pouvant être commises par un être humain.
Dans « Les Ruines de Tirnewidd », on fait la connaissance de Philippe Bertin, un professeur d’histoire au collège de Neubourg. Bertin rêve d’une découverte archéologique importante, mais craint, en raison du peu de vestiges historiques, de ne jamais y parvenir. C’est pourquoi, lorsqu’une connaissance lui fait part d’une présence celte précédant l’arrivée des Vikings, il se passionne pour cette société depuis longtemps disparue. Son obsession causera toutefois sa perte, et il reviendra à son fils, Ludovic, le devoir de rectifier les torts de son père.
Ce texte possède un lien ténu avec le cycle de Neubourg et Granverger. En effet, même si Bertin et sa famille sont originaires de Neubourg, l’essentiel de l’intrigue se déroule ailleurs. La nouvelle est toutefois intéressante en raison du fantastique plus subtil que celui, plus franc, de la nouvelle qui précède. « Les Ruines de Tirnewidd » est un parfait exemple d’un texte où l’ambiance prime sur les manifestations violentes. Le malaise s’instaure peu à peu, à mesure que l’obsession de Bertin père pour les ruines de l’antique civilisation celte grandit, et même si la finale est exempte de tout feu d’artifice littéraire, elle n’en est pas moins d’une grande efficacité. Bref, une histoire de hantise rondement menée.
« L’Icône de Kiev » met en scène les déboires de la famille Tchernine, membres peu fortunés de l’aristocratie, en pleine révolution d’octobre, alors que les bolchéviques chassent le Tsar du pouvoir. Le fils semble avoir été sauvé d’une mort certaine, alors qu’il rapatriait les maigres possessions de la famille, par la présence à ses côtés d’une icône de Saint-Jean-le-Baptiste. Cette relique appartient à la famille depuis de nombreuses années, et si on lui attribue plusieurs miracles, elle serait également la source d’une puissante malédiction. Les membres de la famille Tchernine le découvriront à leurs dépens.
Il s’agit ici de la seule nouvelle qui n’a aucun lien avec Neubourg et Granverger, ni avec les familles Davard et Vignal, qui constituent le cœur du cycle instauré dans Petits Démons et dans le recueil critiqué ici. Malheureusement, c’est aussi le texte le plus faible du recueil. L’intrigue est prévisible et la construction est très classique, alors qu’on alterne entre des miracles qui pourraient n’être que des coïncidences heureuses et des signes de la malédiction de l’icône, qui là encore, pourraient être classés comme de malheureux incidents. Le tout fait sourire, mais on ne peut que déplorer le remplissage que cette nouvelle semble jouer dans ce recueil.
L’ensemble se termine avec « Le Réveil d’Abaldurth », où on retrouve Guillaume Juissave, personnage récurrent du cycle de Neubourg et Granverger, ainsi que ses compagnons, alors qu’ils tentent d’empêcher les membres du Cercle violet de convoquer Abaldurth, le plus puissant des démons anciens. Bien que préparés au pire, ils devront surmonter de nombreux obstacles s’ils souhaitent protéger l’humanité de la puissance destructrice d’Abaldurth.
Comme ce fut le cas avec « Le Sorcier d’Aïtétivché », une bonne partie du plaisir de lecture provient du fait qu’on retrouve des personnages connus, qui poursuivent leurs efforts pour contrecarrer les forces du mal. Moins frénétique que la première nouvelle du recueil, celle-ci n’en demeure pas moins un moment de lecture fort efficace. Si le sujet n’est pas sans rappeler le mythe de Cthulhu de Lovecraft, Sernine évite habilement le piège de la simple redite, et il parvient à proposer une mythologie démoniaque originale, qui fait de plus écho à l’entité rencontrée dans « Le Sorcier d’Aïtétivché ». Un texte fort qui clôt de manière admirable ce court recueil.
De manière générale, Ce qui reste de démons n’a pas la force ni l’impact de Petits Démons, d’une part parce qu’il contient moitié moins de textes, mais aussi, comme son titre l’indique, parce qu’il s’agit des textes qui n’avaient pas été retenus pour le premier recueil. La qualité globale des nouvelles n’est pas à négliger, mis à part quelques coquilles gênantes, mais on ressort de notre lecture avec l’impression qu’il s’agit ici d’une sorte d’annexe au premier recueil de Sernine publié aux Six Brumes, une sorte de cadeau offert aux collectionneurs et aux lecteurs complétistes de l’œuvre de Sernine. Ceci étant dit, il n’y a aucune raison de bouder son plaisir. Et encore une fois, la collection Brumes de légende prouve son utilité et sa pertinence en rendant disponibles des textes de l’un des auteurs phares de la littérature fantastique québécoise. Dans ce contexte, il est difficile de demander mieux !
Pierre-Alexandre BONIN