Renaud Jean, Rénovation (SF)
Renaud Jean
Rénovation
Montréal, Boréal, 2016, 135 p.
Qui ne s’est pas senti étouffé par le monde qui l’entoure ? Ce roman nous interpelle en ce sens, nous faisant pénétrer dans l’univers d’un jeune homme (enfin, on suppose qu’il l’est) qui sera expulsé de son appartement par deux types chargés de le rénover. Cet homme, dont on ne connaît pas l’identité, sera par la suite envoyé contre son gré dans un centre associé à un parc d’attraction où il devra travailler à des conditions pas toujours agréables qui frôlent l’exploitation.
L’individu solitaire réprimé par la société n’est pas nouveau comme sujet dans la littérature mais prend une dimension particulière dans cet univers à la fois kafkaïen et orwellien. La perspective surréaliste du récit générée par l’anonymat du personnage et sa vision absurde du monde servent bien le propos et la narration.
Ce propos ainsi que les réflexions suscitées par l’auteur s’avèrent d’autant plus universels que le lieu où l’histoire se déroule n’est pas non plus dévoilé. Le non-dit constitue d’ailleurs une des forces du roman. Les situations et les personnages nous semblent trop familiers pour qu’on ne se sente pas interpellé sur les plans humain et psychologique. Cette histoire pourrait être la nôtre, celle de l’individu dépossédé de sa liberté et de ses rêves et dont l’utilité dans la société est remise en cause au fur et à mesure que la technologie évolue, comme le monorail et son automatisation dans le récit. Une quête de sens caractérise ainsi ce roman.
L’auteur sait mettre en évidence le pouvoir qu’exerce la société sur l’individu, souvent traité comme une marchandise interchangeable. Les dernières lignes confirment bien ce fait : Assis au milieu de mes reliures, j’attends ma convocation au Déchiqueteur. […] Un homme est appelé chaque soir pour partir vers les tunnels qui descendent au plus creux du sous-sol, poussant un chariot chargé de toutes ses reliures. Nous ne le reverrons plus. (p. 134)
La solitude du personnage principal, qui frise la misanthropie, n’est pas présentée formellement comme négative mais se voit fortement réprimée dans cet univers qui tolère difficilement que l’on s’éloigne du troupeau et ne favorise pas la remise en question et la dénonciation d’un système social fondé sur l’uniformisation et la compétition.
Un certain paradoxe marque ce personnage. Il se montre empathique malgré sa solitude mais ses rapports avec les autres s’avèrent problématiques et incomplets. À sa façon, c’est un être épris d’absolu, tiraillé entre sa réalité et celle des autres.
On remarque que l’amour ne fait pas partie de ce monde où la compétition prime et où chacun ne vit que pour soi. Incidemment, les femmes brillent par leur absence. En général, tout cet univers est déshumanisé, les groupes d’amis et de collègues se séparent rapidement. Et le sens même de l’humain est remis en cause lorsque le personnage dit : D’ailleurs, je n’existe presque pas. (p. 86), évoquant même sa propre mort : Il me semble alors que ma seule issue à ma détresse est la mort. (p. 51).
Les relations entre les employés du parc qui communiquent très peu entre eux nous renvoient par association d’idées à des camps de rééducation tels qu’ils existaient sous les régimes communistes d’autrefois. Mais cette histoire pourrait bien se dérouler à n’importe quelle époque, dans le passé comme dans le futur, si l’on tient compte de l’intemporalité du récit.
Ce deuxième livre de l’auteur, qui s’approprie judicieusement des éléments de la science-fiction et du roman psychologique, suscite des questionnements appropriés sur la vie, les relations humaines et professionnelles et surtout le sens que prend le travail chez l’humain. Il faut souligner la qualité de la langue et le style personnalisé et dépouillé qui servent bien l’intériorité du personnage. L’auteur va à l’essentiel et ne s’embarrasse pas de fioritures.
Martin THISDALE