Christian Guay-Poliquin, Le Fil des kilomètres / Le Poids de la neige (SF)
Christian Guay-Poliquin
Le Fil des kilomètres
Montréal, Bibliothèque Québécoise, 2016, 198 p.
Le Poids de la neige
Chicoutimi, La Peuplade, 2016, 296 p.
Par quel bout attraper ces deux romans apocalyptiques/post-apocalyptiques ? L’auteur lui-même invoque les mythes associés au labyrinthe de Minos. Dans Le Fil des kilomètres, le fil d’Ariane qui devait conduire Thésée vers la sortie devient le ruban d’asphalte que le protagoniste suit sur 4 736 kilomètres pour retrouver son père, tandis que Le Poids de la neige suggère un rapprochement entre les personnages principaux, qui rêvent d’évasion, et le duo d’Icare et Dédale, qui ont tenté, en partie vainement, de s’évader du piège que le père avait conçu.
De fait, Guay-Poliquin nous invite à lire ses récits de la fin du monde en leur donnant une valeur métaphorique. Dans Le Fil des kilomètres, le narrateur quitte une ville de l’Ouest pour se rendre dans son village natal au Québec. Des pannes d’électricité se généralisent dans tout le pays et il s’inquiète pour son père vieillissant, que des pillards ont dévalisé. Il part donc en voiture et traverse un monde en cours d’effondrement. Absorbé par sa propre course, il ne se rend pas compte que son égoïsme reflète celui de presque tous les gens qu’il rencontre en route, qui abandonnent tout espoir d’un futur meilleur pour vivre au présent ou se réfugier dans un passé inaccessible. De fait, les retrouvailles avec le père n’auront pas lieu et le fils, victime d’un accident aux portes du village, les jambes broyées par sa voiture, se retrouve enchaîné à un lit par ses sauveteurs.
Le Poids de la neige décrit le premier hiver après l’effondrement. Le village isolé (en Gaspésie ?) doit organiser sa survie et le maire propose à un réfugié de la métropole, le vieux Matthias, de s’occuper du narrateur alité en échange d’une participation à la première expédition qui se montera pour aller en ville. L’hiver est long sans électricité dans la maison abandonnée que les deux hommes occupent et l’essence manque de plus en plus pour les véhicules. La guérison du blessé traîne en longueur, mais il apprend à connaître son compagnon et renoue avec les villageois qu’il avait quittés dix ans plus tôt. La complicité qu’il développe avec Matthias l’amènera à favoriser la fuite du vieillard qui espère retrouver sa femme en métropole. Son rétablissement se concrétise par son propre départ à la recherche des oncles et tantes de sa famille qui l’attendent peut-être dans un camp en plein bois…
Après la fin du monde, il faut reconstituer les liens et c’est le sujet du second roman qui insère le narrateur dans une nouvelle communauté, qui survit tant bien que mal aux épreuves hivernales. De même, la fin du monde inscrite en filigrane du premier pouvait également symboliser la désespérance et le deuil du fils qui perd son père.
Le récit sert-il ici la mise en scène de la fin d’un monde, ou est-ce l’inverse ? L’auteur laisse régner un certain flou. Son souci du détail pour tout ce qui concerne le voyage puis la survie en hiver enracine l’histoire dans la réalité la plus concrète, mais la fin du monde demeure floue. Que personne ne sache ce qui s’est passé (coup d’État, accident nucléaire ou problème technique, envisage-t-on une seule fois) se défend, mais que personne ne s’interroge ou ne prétende savoir ce qui s’est passé trahit une vision un peu bornée de l’humanité. De ce point de vue, même si la disparition de l’électricité rappelle immanquablement Ravage (1943) de Barjavel ou le film québécois L’Effet (2013), la narration excessivement centrée sur les péripéties quotidiennes rappelle plutôt la prose de Cormac McCarthy dans The Road (2006).
En outre, Guay-Poliquin s’entête à ne pas nommer les lieux ou certains personnages, dont le narrateur. Cette affectation confine à la coquetterie quand l’écrivain laisse si clairement entendre qu’il s’agit d’un voyage de Fort McMurray à Murdochville. L’auteur n’accorde pas toujours la même confiance au lecteur. Dans Le Poids de la neige, le duo constitué par le narrateur et son garde-malade, Matthias, est comparé à Icare et Dédale, mais, si le narrateur incarnait Thésée dans le premier volume, la référence mythique inavouée en ferait plutôt Thésée et Pirithoos, deux amis immobilisés aux enfers pour avoir tenté de ravir Perséphone. Guay-Poliquin a-t-il cru que cet épisode de la légende de Thésée ne dirait rien aux lecteurs d’aujourd’hui (alors que Mary Renault s’en était servi sans hésiter dans The Bull from the Sea en 1962) ?
Depuis quelques années, les catastrophes apocalyptiques s’imposent au premier rang des thématiques de la science-fiction québécoise. Leur popularité exprime sans doute la peur de l’usure d’un certain monde, mais la suite des choses est souvent moins claire. La trilogie (ou série) que Guay-Poliquin semble amorcer est l’œuvre d’un écrivain dont les moyens sont à la hauteur de son choix narratif, celui d’une vision de l’apocalypse par le petit bout de la lorgnette. Le livre suivant nous permettra peut-être de saisir tout le sens de son projet.
Jean-Louis TRUDEL