Sylvie Bérard, Une sorte de nitescence langoureuse (Hy)
Sylvie Bérard
Une sorte de nitescence langoureuse
Lévis, Alire (Autrement), 2017, 160 p.
Meta-fiction. Meta-autofiction sans frein à laquelle on a ôté les roues. Meta-essai. Métaphore ? Mets ta phore, Sémaphore, il pleut du meta, c’est sa faure, c’est sa faure, c’est sa très grande faure, oui, ça fore, là-dessous, c’est sa force, ça fouille, ça creuse.
Excusez-moi, je suis toute discombobulée, je viens de lire Une sorte de nitescence langoureuse, de Sylvie Bérard. Peut-être de lire. Peut-être de Sylvie Bérard. Une histoire. Peut-être. Il y a des personnages, en tout cas. Féminins. Trois. OU deux ? Ou une seule ? une seule ? Des personnages d’histoire. Elles ont toutes des histoires je veux dire, une biographie personnelle. Louise-Andrée Landreville, écrivaine respectable d’articles scientifiques qui n’écrit pas de la science-fiction, vient de publier son premier roman Une sorte de nitescence langoureuse, porté aux nues par les critiques littéraires unanimes, revues, magazines, audiovisuel ; ils sont cités en exergue aux chapitres (textes ? fragments ? Chacun finit toujours de manière arbitraire). Françoise Préfontaine, écrivaine de science fiction aspirant à la reconnaissance sinon à la respectabilité vient quant à elle de publier un nouveau roman, Rendez-vous sur Apocalypse, dont personne ne parle. Un JE, également féminin, se trimballe aussi dans le paysage entre deux écrivaines, et se parle, ou nous parle, avec un abandon ironique parfois joyeusement pervers dans la confidence. Souvenirs d’enfance, livres aimés (Vian, Marquès…), affres et joies de l’écriture, milieu littéraire (les cocktails de lancement et leur faune…), science-fiction et autres mauvais genres… Et oui, une histoire se détache peu à peu, amorce, ébauche, esquisse – ou la fiction élaborée par l’éditeur dans le paratexte, (oui, il y a aussi du para), entre l’image de couverture (une bibitte genre dragon, et quelqu’une écrivant à un ordi en fond) et le quatrième de couverture : les deux écrivaines sont invitées ensemble à une émission de radio. Intolérable suspense : que va-t-il se passer ?
Il se passe de quoi.
C’est à JE que revient la conclusion, car il y a une fin, si-si, et qui mérite la discombobulation. Aucun autre terme que ce néologisme tiré de l’anglais – j’assume – ne peut rendre avec autant d’exactitude le dérangement, la dislocation mentale ambulatoire, les bulles de rire qui vous montent aux lèvres ici et là, car c’est drôle, souvent caustique mais justement. Discombobulation aussi la bulle d’univers parallèle – ou pas – suscitée par les encyclopédies umbertoecotiennes qu’invitent à construire les critiques littéraires en exergue, alternant avec des citations d’André Gide, Gabrielle Roy ou Alberto Manguel ; car pendant une fraction de seconde, surtout si on ne connaît pas un de ces noms, on se demandera, voyons, sont-ils inventés eux aussi ? Il arrive cependant un point où les repères vacillent – davantage : au début, il est clair que les exergues critiques sont inventées – ou du moins les noms des medias où elles sont censées paraître ; mais ça s’efface peu à peu, les noms prennent un air sérieux, on a l’impression vaguement coupable qu’on devrait les reconnaître. Pastiche du style critique-littéraire, parodie, copié-collé ? Et en même temps, à cause du contexte, on se demande avec un soudain recul au bord du rire de nouveau, décalée : mais voyons, on peut-tu parler ainsi d’un roman intitulé Une sorte de nitescence langoureuse ?
Discombobulant, je vous dis. Délicieusement. Gravement. Parce que la voix, singulière, parce que le regard, l’humour, la lucidité ironique envers le milieu littéraires, les genres, les attentes sociales envers les écrivaines et les femmes en général. Parce que soudain une échappée touchante de souvenir ou de confidence et, à l’instant même où l’on est touché, on se demande : c’est-tu vrai, coudon ? Pour s’entendre se répondre aussitôt : Mais je m’en fous ! Réalité, vérité, fiction, mensonge, on s’en moque désormais, prise, captive – discombobulée et heureuse de l’être. Parce que tout est là, la vraie vie d’écrivaine, le féminisme, le queer qui ne veut pas seulement dire “bizarre”, la littérature dite de jeunesse et celle dite à cinq sous, la littchératchure et son inscription dans la société et sa cultchure…
Mais surtout, surtout l’écriture, l’amour, l’obsession de l’écriture, ses infinis jeux de miroirs voilants et dévoilants, l’écrivaine et ses doubles troubles, double trouble.
Est-ce qu’un éditeur de littérature dite générale normal aurait publié ce livre ? Non. Est-ce qu’Alire aurait pu se dispenser de publier ce livre ? Absolument pas. Est-ce de la fiction ? Oui. Non. Peut-être, toutes ces réponses. Est-ce de la SF ? Non. Oui. Peut-être (…“mais je m’en fous !”) Ai-je aimé ? Oui, oui et oui. Mais c’est moi, j’assume mon JE. J’aime à être discombobulée et c’est d’ailleurs pourquoi j’aime la science-fiction l’empire du pseudo, comme il se doit pour de la fiction. Tout le reste, ce qui ne discombobule point, n’est que littérature.
Élisabeth VONARBURG