Philippe Meilleur, Maître Glockenspiel (SF)
Philippe Meilleur
Maître Glockenspiel
Montréal, VLB, 2017, 174 p.
Au Canada francophone, l’allégorie politique et sociale se sert de plus en plus souvent de la science-fiction. C’était le cas des Cosmonautes de l’Absolu de Yannick Lacroix ou plus récemment de Floraison Armature par Vincent de Maisonneuve (dont la critique est publiée dans le numéro 202). L’ouvrage récompensé en 2017 par le Prix Robert-Cliche du premier roman, que signe Philippe Meilleur chez VLB Éditeur, pratique un humour presque aussi grinçant que le court roman de Lacroix, mais il offre un univers plus fantaisiste et plus coloré.
L’auteur aligne une galerie de personnages dont il a travaillé l’originalité. Il y a le tyrannique Maître Glockenspiel, qui fantasme sur son assassinat et qui règne sur un royaume de poche, où il peut ordonner à un homme d’affaires, John R. T. S. Smithson Sr., d’augmenter la production de richesse sous la forme de sueur arrachée aux travailleurs par des pressoirs. Il y a l’Artiste qui se prépare à écrire sans jamais commencer. Il y a Ursula, créature des fosses abyssales qui survit à l’air libre avec l’aide de Maître Glockenspiel… Quant à elle, la populace est tenue en laisse par les consolations superstitieuses d’un Oracle bonimenteur, par la peur d’une guerre avec le pays voisin et par le défouloir des spectacles de lutte.
La décision de Maître Glockenspiel d’ordonner une augmentation de la richesse entraîne la mise sous pression (littéralement) des travailleurs et l’insatisfaction gronde. Une conspiration se met en place, enrôlant l’adjoint de Maître Glockenspiel, l’Oracle, une soldate insoumise, un ancien travailleur de force et même Smithson Sr. Toutefois, dans l’espace intersidéral flotte un astre mineur, baptisé Adélaïde, qui se morfond tout en se rapprochant de la planète habitée où s’agite ce petit monde. Comme dans ZIPPO et L’Esprit du temps, de Mathieu Blais et de Joël Casséus, c’est l’impact d’un astéroïde qui tranche la question, soulignant la vanité des efforts politiques des uns et des autres.
Court et concis, Maître Glockenspiel n’aspire jamais à transcender la forme du conte qui enchaîne les personnages et les péripéties sans examiner ce qui les relie, pour la raison très simple et évidente que ce qui confère à l’histoire de Meilleur l’essentiel de sa cohérence, c’est le contexte allégorique qui renvoie à la réalité du lecteur. Ainsi, des touches de fantaisie (conversion de la sueur humaine en objets manufacturés, papillons-kamikazes) voisinent avec des mentions de bombes nucléaires et de lasers, sans parler d’improbabilités comme des bars à neutrinos. Même en l’absence d’un minimum de cohérence dans la construction de monde, il aurait été possible de donner plus d’épaisseur aux personnages, comme dans l’émouvant Zora de Philippe Arseneault, mais la narration ne s’y risque presque jamais.
L’écriture de Meilleur conserve néanmoins une légèreté et une spontanéité qui permettent de lire l’ensemble d’une traite sans déplaisir, en particulier si on apprécie les contes à la Fred Pellerin. Sinon, les amateurs de sports se régaleront du match de catch qui joue un rôle dans l’intrigue, pour la première fois peut-être dans un texte de science-fiction québécoise depuis les Aventures futuristes de deux savants canadiens-français en 1949.
Jean-Louis TRUDEL