Magali Laurent, Loterie funeste (BOA -1) (SF)
Magali Laurent
Loterie funeste (B.O.A. -1)
Boucherville, De Mortagne, 2017, 460 p.
Dans un futur plus ou moins éloigné, une mutation du virus Ebola frappe l’humanité et transforme ses victimes en monstres assoiffés de sang. Un vaccin est élaboré, et les gens les plus riches de la planète se précipitent pour se le procurer. Le problème, c’est qu’il n’est pas encore au point, et que lui aussi transforme les gens en vampires, mais qui contrôlent leurs pulsions. Plusieurs années et une nouvelle version du vaccin plus tard, la maladie est éradiquée et les Charognards, les premières victimes du virus, sont décimés. Les BOA, transformés par le vaccin original, forment une élite politique et économique puissante, même s’ils doivent se nourrir de sang pour survivre. Ils forment donc un pacte avec les humains non contaminés pour leur offrir un sanctuaire dans la ville de Liberté, en échange de dons de sang volontaires réguliers. Oxana et Alex, deux jumeaux, sont pour leur part des Sacs à sang, élevés pour servir de source d’approvisionnement aux BOA. Ils vivent dans un Cellier, un camp de travail qui sert en même temps de réserve alimentaire aux vampires. Chaque année, une loterie est organisée pour tenir la population de BOA tranquille. On y fait tirer des Sacs à sang qui deviendront la propriété des vainqueurs. Mais cette fois, le prix est différent. En effet, on offre six Sacs à sang et ils sont immortels, ce qui veut dire que leurs acquéreurs obtiendront une source de sang inépuisable. Quand Oxana se découvre une étonnante faculté de régénération, elle est loin de se douter du sort qui les attend, son frère et elle.
Placée dans un univers riche et complexe, l’intrigue imaginée par Magali Laurent fait intervenir deux des tropes les plus utilisés dans les littératures de genres ces dernières années : la dystopie et les vampires. Malgré les innombrables écueils, Laurent nous offre un roman passionnant, aux multiples rebondissements et à l’écriture maîtrisée. Grâce à une narration omnisciente qui varie les points de vue, le lecteur suit différents protagonistes qui ne partagent pas nécessairement les mêmes buts, mais qui finissent par se croiser et parfois entrer en conflit. Les personnages, qu’ils soient bons ou méchants, sont nuancés et leur psychologie est bien développée.
On s’attache rapidement à Oxana, et on découvre avec plaisir une héroïne complexe, loin des femmes invincibles qu’on transforme en figures de révolte et de liberté. L’adolescente devra vivre avec les conséquences de ses actes, et ce n’est pas parce qu’elle est immortelle qu’elle ne peut pas souffrir. Du côté de la rébellion, passage obligé de toute dystopie qui se respecte, on retrouve une alliance inattendue entre des humains et des BOA. Cette collaboration contre nature amène des enjeux intéressants à l’intrigue. Même si les rebelles parviennent à renverser l’Administration, les vampires devront tout de même continuer de se nourrir de sang humain pour survivre.
Magali Laurent multiplie les arcs narratifs secondaires et passe de l’un à l’autre avec une maîtrise évidente. Son arrière monde est étoffé et crédible, l’hypothèse d’une mutation d’un virus existant avec de telles conséquences est non seulement possible, mais tout bonnement terrifiant ! L’organisation de la société avec des compagnies comme la Sang et prestige, qui « élève » des humains pour en faire des Sacs à sang dociles et celle qui gère les Celliers font penser, d’une manière ironique et dérangeante au débat qui entoure la question de l’industrialisation à outrance dans le domaine agroalimentaire.
Le seul bémol mineur vient du fait que certains aspects des BOA ne sont pas abordés du tout au cours du récit. Ainsi, on ignore si ces nouveaux vampires sont vulnérables aux mêmes armes que leurs ancêtres littéraires, ou s’ils vivent éternellement. On sait qu’ils peuvent se reproduire, et que leur union engendre d’autres BOA, puisqu’il y a des enfants vampires à Liberté. Mais que donnerait une union entre un(e) BOA et un(e) humain(e) ? Et que se passe-t-il si un BOA consomme par inadvertance du sang contaminé par un virus comme le VIH ou l’hépatite B, par exemple ? Mais toutes ces questions sont le fruit de la réflexion suscitée par la richesse de l’univers mis en place par Magali Laurent et ne constituent en rien un aspect négatif du roman. Il faut plutôt y voir la preuve de mon enthousiasme envers son arrière-monde et ses implications pratiques !
Bref, l’auteure parvient à proposer une dystopie originale et même à revitaliser la figure du vampire dans un roman qu’il est impossible de déposer. En terminant le tome I, le lecteur n’a qu’une envie, commencer le plus vite possible la lecture du tome II. Un gros coup de cœur qui parvient presque à me réconcilier avec la surabondance de dystopies et le sort que Twilight a fait subir aux vampires !
Pierre-Alexandre BONIN