Karoline Georges, De synthèse (SF)
Karoline Georges
De synthèse
Québec, Alto, 2017, 220 p.
Dans une famille de banlieue très ordinaire, dans le salon d’un bungalow, une petite fille grandit, le nez collé à la télévision, passive, comme beaucoup d’autres enfants de sa génération. Dans la cuisine, sa mère regarde le vide en ruminant l’une ou l’autre de ses fausses-couches, tandis que son père, violent lorsqu’il a bu, est absent. La petite fille pourrait rêver de devenir l’un des personnages des émissions qu’elle écoute avidement, mais non. Ce qu’elle veut, c’est devenir une image, immobile, immortelle. Les années passent. L’enfant effacée et négligée devient une jeune femme superbe, mais asociale et amorphe, le mannequin parfait, sur lequel photographes et designers peuvent projeter tous leurs désirs. La jeune femme connaît une brève gloire, devient une collection de clichés imprimés sur papier glacé, accumule beaucoup d’argent. Suffisamment pour prendre une retraite hâtive et se mettre à vivre en recluse, coupée de tous et surtout de ses parents, immergée dans une réalité virtuelle où elle continue sa quête et tente par tous les moyens de se sublimer en image. Jusqu’au jour où elle apprend que sa mère se meurt. Pour l’ermite qui cherche à se désincarner, la confrontation avec la déliquescence du corps maternel sera brutale et la poussera à revisiter son passé.
Le thème de la femme qui désire polir son image n’est pas nouveau dans l’œuvre de Karoline Georges. Cependant, dans De synthèse, il est porté à l’extrême par un personnage plutôt névrosé, mais tout de même attachant. La narratrice ne veut pas seulement posséder une belle image, elle ne désire pas être autre chose. Elle méprise son corps, ne sait pas gérer ses émotions… On devine qu’elle a manqué d’amour et qu’elle ne sait pas interagir avec les gens, uniquement avec leurs représentations. Attendris, on prête aisément à cette jeune femme les traits d’un introverti de notre connaissance, l’un de ces individus qui interagissent bien plus facilement sur les réseaux sociaux qu’en personne.
Le récit de l’enfance de la narratrice, qui nous provient par fragment, permet de comprendre l’origine de ses travers et d’y compatir. Cette partie du récit m’a semblé voguer un peu sur la vague de nostalgie des années 70 et 80 qui s’est abattue sur la culture populaire ces dernières années. (Signe, sans doute, que ma génération, née dans ces années-là, commence à être suffisamment importante pour être courtisée par l’industrie du divertissement… Ou que les créateurs ont de plus en plus souvent le même âge que moi !) Toutefois, le procédé fonctionne très bien dans De synthèse, en utilisant juste assez d’éléments typiques de l’époque (émissions de télévision, marques de vêtement, etc.), pour placer l’ambiance sans surcharger le texte.
La trame de fond de tout le roman, la question du rapport à la mère, et surtout à sa mort, est chargée d’émotions profondes, mais rendue avec une retenue fort évocatrice. L’auteure ne cache pas le fait qu’elle a réellement vécu ce deuil durant l’écriture du roman et je crois (mais peut-être est-ce parce que j’ai déjà subi la même épreuve) que cela a conféré à sa plume, déjà saluée avec raison pour sa précision et sa clarté, une douloureuse justesse.
Bref, De synthèse est un superbe roman qui amène à réfléchir sur la question de l’image, de l’héritage, de la transmission entre les générations… Mon seul bémol est que ce n’est presque pas un roman de science-fiction ! Oui, l’action se situe dans un futur proche où la réalité virtuelle est courante et où les voitures se conduisent seules, mais l’impact de ces innovations sur le récit est tellement minime (et ces technologies sont si près de se réaliser) que les lecteurs qui plongeront dans ce roman à la recherche de science-fiction pure et dure risque d’en ressortir déçus.
Heureusement pour moi, j’avais été prévenue !
Geneviève BLOUIN