Maude Deschênes-Pradet, Hivernages (SF)
Maude Deschênes-Pradet
Hivernages
Montréal, XYZ, 2017, 176 p.
Nous assistons, depuis quelques années, à un décloisonnement des genres de l’imaginaire que j’accueille avec délices. Certes, les éditeurs généralistes commettent parfois quelques maladresses lorsqu’ils se lancent dans la science-fiction et le fantastique, mais on dirait que le monde la « Grande Littérature » se rappelle, enfin, que ses racines, d’Homère à Maupassant, sont bien ancrées dans le merveilleux et l’impossible. Est-ce parce que le bassin d’auteurs rajeunit et que ma génération, nourrie dès le berceau par les contes de Disney et les effets spéciaux de Star Wars, n’en a rien à cirer des limitations et des étiquettes ? Ou est-ce parce que les genres permettent des explorations stylistiques autrement impossibles ? Peu m’importe. Cela permet aux genres de quitter leur ghetto et de se défaire des soupçons de pauvreté stylistique qui leur collait aux pages. De plus, les amateurs de genre de longue date peuvent découvrir de nouvelles plumes, issues de traditions forts différentes. C’est dans ce contexte que je me retrouve aujourd’hui à chroniquer, dans les pages de Solaris, Hivernages de Maude Deschênes-Pradet, un livre édité chez la très littéraire maison XYZ et finaliste au prix des Horizons Imaginaires !
La prémisse d’Hivernages rappelle celle de L’Aquilon de Carl Rocheleau, publié aux Six Brumes en 2010, et reflète, selon moi, une hantise québécoise profonde : un jour l’hiver est revenu et il n’est jamais reparti. Alors que L’Aquilon de Rocheleau présentait un monde qui s’était adapté à cette réalité, limitée au Québec, et avait dépassé le stade de la survie, Hivernages nous plonge plutôt au cœur du blizzard et de la tourmente, avec la vision fragmentaire que cela suppose.
Des gens survivent ici et là, malgré la neige et le froid, mais leur histoire nous est contée par fragments, autour des lieux où ils se croisent, s’entraident, s’ignorent ou s’affrontent. Il y a d’abord l’église aux pigeons, bâtiment dévasté sous lequel repose la dépouille de Simone, endormie en même temps que la terre, qui n’est peut-être pas aussi morte qu’elle le paraît, puisqu’elle rêve. Sa sœur jumelle, Talie, vient la visiter, lorsque la horde d’oiseau qui gardent les lieux la laissent passer, et se rend également au Bunker pour troquer. Ren, l’orphelin aux longs cheveux, vit au Bunker lui aussi, mais il devra le quitter et rejoindra le vieil ermite du trente-deuxième étage. Plus loin, à Ville-réal, une vaste communauté habite les anciens couloirs du métro. Des grand-mères chinoises y mangent des beignets en buvant le thé servi par Sam, qui s’ennuie de son Alyse partie dans la tempête avec son ventre rond. Dans la forêt des loups, une vieille femme se souvient avoir sauvé une enfant, la petite Aude, de la tempête, avant de la confier au trappeur Lucien et à sa sœur Lucille, qui l’aimeront malgré sa laideur et ses mains crochues. Aude entend les rêves de Simon dans l’église aux pigeons. Soudain, la terre tremble…
Hivernages est un roman où les scènes tourbillonnent comme des flocons de neige dans la nuit, leur chute tantôt suspendue, tantôt hâtée par la tempête. C’est une histoire d’apocalypse cotonneuse, duveteuse, qui donne envie de se blottir au coin du feu en compagnie des personnages, tous vulnérables à leur façon, et de partager avec eux notre chaleur. L’écriture a un je-ne-sais-quoi de zen, trompeusement simple et profondément évocatrice. Mon seul bémol serait les allusions au yoga (pratiqué par le personnage de Talie) qui détonnent par leur familiarité contemporaine et leur précision, au milieu d’un récit volontairement flou, où les repères de temps et de lieux sont brouillés.
Cela étant dit, Hivernages est une magnifique lecture ! Dans ces dernières pages, l’histoire donne l’impression de se suspendre plutôt que de se terminer, de la même manière que la fin d’une chute de neige ne met pas un terme à l’hiver. Les lecteurs qui apprécient les récits déconstruits, en forme de collage d’anecdotes, seront comblés.
Geneviève BLOUIN