Laurier Côté, La Planète invisible (SF)
Laurier Côté
La Planète invisible
Saint-Lambert, Soulières (Graffiti +), 2019, 257 p.
Le vaisseau Excalibur de la Flotte Universelle de la Fédération des Planètes Unies capte un étrange signal en provenance d’un quadrant peu exploré de la galaxie : comme si une planète était apparue pour disparaître aussitôt. En approchant du secteur, l’Excalibur découvre qu’il existe bel et bien, à cet endroit, une planète protégée par un écran d’invisibilité gigantesque, du jamais vu. De plus, en orbite de cette planète invisible, on repère la navette du célèbre savant Iosténa Falco, vide de tout occupant. Lorsque l’écran d’invisibilité est brièvement levé, le capitaine O’Connor, maître de l’Excalibur, fait téléporter sur la planète invisible l’Arcanien Bjork Aalq, spécialiste des premiers contacts avec les civilisations inconnues. Aalq découvre un peuple désarmé qui parle peu et qui use de gestes modérés, les Kohrlons. Par télépathie, Aalq parvient à déchiffrer rapidement leur langage. Il apprend ainsi que Falco a été fait prisonnier, car il a posé des gestes Xoolk (tabous). Aalq rencontre Klaax, Guide des Kohrlons, qui accepte de libérer Falco. Les visiteurs découvrent alors ce petit peuple dont la technologie n’est pas très avancée, mais dont la vie communautaire est exemplaire et paisible. Les Kohrlons ont été créés il y a fort longtemps par les Xantas, des êtres supérieurs très puissants, qui ont doté Kohrla de cet écran d’invisibilité afin de les protéger, pour qu’ils s’épanouissent à l’abri d’éventuels conquérants. Maintenant que la FPU a atteint un niveau de connaissance et de sagesse jugé satisfaisant, les Xantas permettent qu’on retire la barrière afin que Kohrla puisse intégrer la Fédération. Car les Xantas n’ont pas disparu. Ils se tiennent dans l’ombre, prêts à intervenir si nécessaire…
Les lecteurs de cette chronique connaissent déjà les protagonistes Aalq et Falco, apparus dans Au-delà de l’abîme, que j’ai commenté en ces pages (Solaris 203). À dire vrai, les commentaires que j’ai émis à propos d’Au-delà de l’abîme pourraient s’appliquer à peu près tels quels pour La Planète invisible : ce n’est pas une lecture facile ni même très agréable, dépendant de ce qu’on s’attend à trouver sous la couverture d’un roman destiné au public adolescent.
Cette fois encore, l’auteur économise sur le décor : le vaisseau Excalibur n’a pas besoin d’être décrit puisque qu’il pastiche le USS Entreprise. Si l’auteur déploie encore son éventail de races extraterrestres (qui doivent plus à Monsters Inc. qu’à Aliens), les principaux membres de l’équipage occupent les rôles traditionnels bien connus des trekkies. Quant à la planète Kohrla, qui ne dispose pas de technologie avancée mais est pacifiste, il s’agit d’une planète verte, littéralement. Les lieux sont donc plantés (c’est le cas de le dire) en quelques mots. Et heureusement parce que, par ailleurs, on est inondé d’informations.
Peu de concessions sont accordées au lecteur adolescent. Certaines phrases sont si complexes que la relecture a été nécessaire : « Il y a aussi ceux qui comme Grolsh et sous ses ordres, les autres techniciens de la Détection à Longue et Courte Distance, surveillent entre autres les plus gros objets qui pourraient les heurter. » (p. 16) Par contre, certaines informations seront répétées, par exemple lorsque le capitaine O’Connor résume la visite des Kohrlons à bord du vaisseau (p. 176-177).
En fait, j’ai l’impression d’avoir lu une sorte de double récit, ou un récit à deux niveaux de lecture.
En premier lieu, l’intrigue comme telle et ses péripéties équivalent à une longue nouvelle. Il s’agit d’une histoire classique et exemplaire de prise de contact entre l’Entreprise – pardon : l’Excalibur ! – et une civilisation désarmée mais ô combien sage. La position rassurante adoptée par Aalq lorsqu’il est téléporté, son analyse du langage et des réactions de ses interlocuteurs ainsi que, surtout, la volonté d’agir pour le bien de tous (conformément aux valeurs de la FPU), tous les éléments sont réunis pour former le manuel du parfait explorateur de l’espace. C’est, je l’espère, ce qu’un lecteur adolescent retiendra de ce livre.
Hélas, le récit a été trempé dans un tel enrobage qu’on atteint vite un trop-plein, de même qu’on s’écœure d’un cornet de crème glacée décoré de trop de sucreries.
Car en second lieu on a affaire à un bête plaquage d’informations pas vraiment nécessaires au fonctionnement du récit. Une espèce d’encyclopédie des êtres pensant du cosmos, énumérant des races plus farfelues les unes que les autres, dont chaque représentant a un petit rôle de figuration, trop bref pour atteindre une véritable existence aux yeux du lecteur.
On trouve pire : les lois de la robotique d’Asimov expliquées en long, en large et en travers (p. 163-170), alors qu’on ne rencontre qu’un seul et unique robot – encore à peine un figurant. Huit pages d’explications sous prétexte de démontrer que non seulement les robots ne sont pas dangereux, mais qu’ils protègent les membres de la FPU entre eux et contre eux-mêmes.
Comme je l’écrivais à propos d’Au-delà de l’abîme, je ne suis pas une lectrice adolescente. Toutefois, je sais comment j’aurais réagi à la lecture de ces passages informatifs : ça ne m’aurait pas donné le goût de lire d’autres romans de science-fiction, bien au contraire. J’aurais détesté la SF ! Pourtant, l’intrigue, bien qu’éparpillée entre les discours, est non seulement intéressante, mais elle peut servir d’amorce à la discussion en classe, ne serait-ce qu’en comparant l’arrivée des Européens en Amérique au XVe et XVIe siècles avec l’apparition de Falco, puis d’Aalq, sur Kohrla.
J’aime l’humour de l’auteur, qui ne nuit pas à l’intrigue mais y ajoute un clin d’œil amusant, par exemple quand on décrit un être translucide que tout le monde trouve fascinant « sauf quand il mange » (p. 15), ou ce Localisateur Annihilateur Singulaire à Sub-Morons Directionnel (p. 167) qui sert à repérer et à détruire tout type d’arme (car, comme le disait Asimov par la bouche de Seldon, « la violence est le dernier refuge des imbéciles », n’est-ce pas ?).
Et, encore une fois, la finale ouvre sur des perspectives prometteuses, car la Fédération n’a pas exploré l’entièreté de l’univers, il reste des empires peuplés de Vilains et de Pas Gentils qu’on pourrait devoir affronter un jour… sauf si les Xantas sont là pour nous secourir.
En l’état, je reste dubitative : je ne saisis pas le sens du projet de l’auteur.
Je pourrais risquer quelques hypothèses : 1- Il désire se démarquer des romans de facture « classique » (mais pourquoi diable l’infliger à des ados ?). 2- Il veut calquer les fonctions multitâches de l’ado numericus (résultat : on s’éparpille). 3- Il souhaite faire découvrir au jeune lecteur les classiques de la SF telle l’œuvre d’Asimov (ici, Les Cavernes d’acier obtiendront un meilleur résultat). 4- Tout simplement, l’auteur écrit pour son propre plaisir, ce qu’on ne peut lui reprocher (et tant pis pour le lecteur).
Quoi qu’il en soit, je renonce à comprendre. Dommage. Il y avait de petits bouts intéressants.
Francine PELLETIER