Ayavi Lake, Le Marabout (Fa)
Ayavi Lake
Le Marabout
Montréal, VLB, 2019, 128 p.
Bouba est un marabout, un sorcier africain de Parc-Extension, l’un des quartiers les plus multiethniques de Montréal. Multiethnique et laissé-pour-compte, car on n’a même pas pris la peine de le baptiser vraiment. Il n’est qu’une extension de la réalité montréalaise, que les gens « de souche » préfèrent souvent oublier. Bouba est gentil charlatan, mais un don imprévu lui permet bientôt de changer de peau. Cependant, le corps choisi, qu’il croyait un passeport pour la réussite, un moyen de changer le monde, ne tiendra pas toutes ses promesses…
Autour de Bouba, ça bouillonne à « Parc-Ex », dans les rues où des Attikameks côtoient des Arabes, des Grecs et des Antillais, dans les commerces où toutes les spécialités du monde se donnent rendez-vous… et dans la tête d’une écrivaine à la peau noire et au cœur habité par Serge Bouchard.
« Donc, jusqu’à hier, les choses n’allaient pas trop mal : Marianne Potvin s’est tapé un marabout, Jolianne s’est trouvé un Black Panther, l’oncle François a un morceau de choix sous la main. J’avais réussi, chaque matin, à faire vivre ces personnages. Ça, c’était hier. Là, je me sens vide. Tout ce bonheur fictif me fatigue et m’amollit. C’est ça, mon problème : dès que ça commence à aller dans mes histoires, j’ai l’impression de ne plus servir à rien. À quoi bon continuer à écrire, si tout va bien ? Et quand ça m’arrive, il n’y a que trois choses pour me remonter le moral : du bon tabac, Serge Bouchard et sortir de moi-même. »
Dans Le Marabout, nous suivons à la fois les pérégrinations et les doutes de cette écrivaine (alter ego de Ayavi Lake, la véritable auteure, née au Sénégal, qui a étudié en France avant de venir vivre à Jonquière, puis à Montréal) et de ses personnages qui se croisent et s’entrecroisent. On les sait faux, mais l’auteure, la vraie comme la fictive, sont de sublimes anthropologues urbaines qui nous les rendent, en quelques phrases concises et incisives, plus vrais que nature.
Ce court roman, où le fantastique n’est qu’un prétexte à la réflexion, est une véritable lettre d’amour à Parc-Extension, un appel au dialogue, à l’ouverture vers l’autre. L’auteure a pris le parti de montrer le côté lumineux de l’immigration, ainsi que les aspects réconfortants et chaleureux de Parc-Ex, en plus d’inclure dans sa galerie de personnages des visages non-Blancs qui diffèrent immensément des clichés véhiculés par nos politiciens et nos médias. Qu’il s’agisse de l’enfant adoptée qui, malgré sa peau noire, ne se souvient pas d’une autre patrie, de l’immigrant plus imprégné de culture québécoise que bien des universitaires locaux, de la femme voilée, par choix, qui a enseigné en régions éloignées et connaît intimement la situation des autochtones, tous les personnages d’Ayavi Lake représentent une facette du Québec d’aujourd’hui. Tous, ils savent nous toucher, nous faire sourire et réfléchir. Nous rappeler que peu importe d’où l’on vient et de quoi on a l’air, nous sommes tous humains. Tous Québécois.
Bref, Le Marabout est une œuvre magnifique, grouillante et vivante, qui peut se lire d’un trait ou par petites bouchées savourées. J’attends déjà avec impatience l’œuvre suivante de cette auteure !
Geneviève BLOUIN