Patrick Senécal, Ceux de là-bas (Fa)
Patrick Senécal
Ceux de là-bas
Lévis, Alire (GF), 2019, 557 p.
Patrick Senécal est un auteur qui n’a plus besoin de présentation. Reconnu comme le maître du roman noir au Québec, il a publié dix-huit romans pour adultes et deux autres pour la jeunesse. Il est aussi scénariste. D’ailleurs, plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma. Parmi ses plus récents projets, la série Patrick Senécal présente à Club Illico. En plus de signer les textes, il endosse le rôle de réalisateur pour un épisode.
Son plus récent roman, Ceux de là-bas, est un roman fantastique, avec une belle réflexion sur la mort (et la peur qu’elle inspire). Le personnage principal, Victor Bettany, est psychologue au Cégep de Drummondville. Bien qu’il soit en parfaite forme physique, il a peur de la mort. On ne peut pas parler de phobie, puisque cela ne l’empêche pas de fonctionner normalement. Par contre, il y pense tous les jours et calcule sans cesse le temps qui passe et celui qui lui reste. Pour empirer les choses, il est entouré par la mort : celle de sa conjointe dans un accident quelques années plus tôt et celle de son père qui ne saurait tarder.
Comme souvent chez Senécal, cet homme sans histoire se retrouve plongé malgré lui dans une histoire qui le dépasse. En effet, lors d’un spectacle de Crypto, un hypnotiseur iconoclaste qui aime fouiller les zones sombres de l’humain, il est invité à monter sur scène pour participer à un numéro. À son réveil, tout le monde est mort. L’artiste, les spectateurs, les techniciens. Tout le monde. Victor prend la fuite, sans oser demander l’aide de la police, de peur que son passé ne le rattrape. Alors qu’il se lance dans une enquête pour comprendre ce qui s’est passé ce soir-là, il commence à voir des fantômes.
Dans Ceux de là-bas, on retrouve avec plaisir le style efficace de l’auteur qui a un réel don pour créer une ambiance angoissante. Comme souvent chez Senécal, il y a un cocktail détonnant d’humour (bien noir ; mentions honorables aux rencontres avec le Fêlé) et d’horreur avec quelques scènes d’anthologie qui vont hanter longtemps le lecteur (du moins celui-ci).
Je suis fasciné par la façon de conter de Patrick Senécal. Son écriture est simple, du moins elle en a l’air. Chaque phrase est un élément de plus d’un engrenage fatal. C’est très difficile de prendre une pause une fois le livre amorcé. Ceux de là-bas a un rythme plus lent et est plus introspectif que la majorité des autres livres de l’auteur. Pourtant, il se dévore d’une traite.
Le prologue est plein de promesses. Victor assiste à une séance de spiritisme et il dévoile la supercherie. Dès le début, on voit la quête du personnage, obsédé par une grande question : qu’est-ce qui se passe après la mort ? Car ce n’est pas la mort en tant que telle qui l’inquiète, mais le fait d’ignorer ce qui se passe ensuite. Comme souvent chez Senécal, le personnage, un gars ordinaire, doit aller jusqu’au bout de sa quête… peu importe le prix à payer.
La psychologie du personnage principal est fouillée. Le fantastique, bien que présent, demeure léger. Par contre, il s’inscrit parfaitement dans l’œuvre de Senécal. Ceux de là-bas est un thriller noir qui entraîne le lecteur dans des zones inconfortables.
Personnellement, j’aurais aimé que le personnage principal soit plus actif. Pendant la majorité du livre, il subit plutôt que d’aller au-devant des choses. Ça le rend un peu fade par moments. De plus, un des personnages secondaires les plus intéressants (son amie Lucie) disparaît avant la moitié du livre. J’aurais aimé la voir plus. Son côté rationnel et son style direct amenaient Victor à sortir de sa zone de confort.
Cela dit, Ceux de là-bas est un bon Senécal. Un roman d’horreur psychologique efficace au rythme lent, mais qui ne perd jamais de son intérêt. On cherche à comprendre, en même temps que le personnage principal, ce qui lui est arrivé lors de ce fameux spectacle. Cela prouve que l’auteur a réussi à le rendre vrai et à créer un réel suspense autour de cette histoire.
Pierre-Luc LAFRANCE