Jonathan Reynolds, Abîmes (Fa)
Jonathan Reynolds
Abîmes
Lévis, Alire (GF 85), 2020, 241 p.
Ce n’est pas un secret pour ceux qui le connaissent : Jonathan Reynolds est un amateur de musique Métal. Et je le comprends : difficile, pour des amateurs d’imaginaire, de ne pas être attirés par ces groupes qui utilisent l’esthétique des Vikings, des mythes païens, des univers lovecraftiens et du satanisme. Contempler les pochettes d’albums de Métal me donne immédiatement des envies d’écrire quelques histoires bien violentes et sanglantes… Avec Abîmes, Reynolds a cédé à une inspiration semblable.
Dès les premières pages, après quelques scènes semblables aux notes discordantes d’une introduction musicale qui ne prendra son sens que plus tard, Reynolds nous aspire dans une histoire au rythme nerveux, sur les traces d’un énigmatique trio. Frédéric, guitariste et compositeur dans un groupe de Métal et vendeur de disques dans une boutique spécialisée, est obnubilé par un groupe, l’Abyme, dont il n’a entendu qu’une partie du spectacle. Depuis, ses proches ne le reconnaissent plus. Violette, la drummer et ex-prostituée, a reçu elle aussi une invitation à un spectacle de l’Abyme, mais elle ne s’y rend que dans l’espoir de rencontrer un ancien amour. Simon, finalement, est un autre métalleux, gratteux de guitare à ses heures, qui est tombé sur son emploi de rêve : être roadie pour un groupe méconnu : l’Abyme.
Le roman est divisé en trois parties, une pour chaque personnage, la cohérence de l’ensemble étant assurée par les réflexions d’un autre trio, soit Annie, Mike et Victor, des amis de Frédéric. Tandis que toutes ces trames se déploient et s’entrecroisent, le surnaturel s’infiltre en fond sonore. L’obsession que génère l’Abyme est anormale, de même que la puanteur exhalée par ses fans. L’histoire de ses musiciens mêle le tragique et l’abject, ils vacillent au bord du gouffre, persuadés qu’un autre monde est à leur portée…
Les chapitres du roman sont courts, s’enchaînent sans transition, comme ces albums musicaux où on ne sait pas discerner les coupures, et se laissent dévorer. L’auteur écrit habituellement pour la jeunesse et il y a visiblement développé l’art de camper des ambiances et des personnages en peu de mots. On aurait pu, si on est portés à chipoter, souhaiter une narration différente pour Simon, qui nous relate toujours les faits une fois qu’ils ont eu lieu. Ou alors une meilleure description de l’odeur de pourriture que dégagent les mordus de l’Abyme (surtout que Reynolds est parfaitement capable de descriptions gore propres à couper l’appétit). On n’aurait pas pu, cependant, désirer une conclusion différente à cette histoire. Après un dénouement qui aurait pu nous laisser sur notre faim (l’échec est toujours délicat à manier, même lorsqu’il est souhaité par le lecteur), la scène finale rachète tout et nous laisse sur une note de démesure parfaitement Métal.
En somme, Abîmes est, certes, un hommage à la musique Métal, un ouvrage à mettre entre les mains de tous les métalleux (qui y comprendront bien davantage que je n’ai pu saisir), mais c’est aussi (même pour quelqu’un qui, comme moi, n’a guère fréquenté autre chose que Nightwish et Metallica) un excellent moment de lecture, avec des personnages vivants et attachants qu’on se désole de voir menacés par leurs failles intérieures.
Geneviève BLOUIN