Éric St-Pierre, Rabaskabarnak (SF)
Éric St-Pierre
Rabaskabarnak
Montréal, Québec Amérique (La Shop), 2019, 224 p.
Depuis quelques années, les auteurs québécois s’approprient sans hésiter certaines des thématiques les mieux connues de la science-fiction. Si la dystopie est à l’honneur dans la production jeunesse, l’apocalypse et ses suites inspirent les auteurs pour adultes. On songera au diptyque primé de Guay-Poliquin, au Potager de Marilyne Fortin, à Oscar de Profundis de Catherine Mavrikakis ou, plus récemment encore, au très joli Aquariums de J. D. Kurtness. Toutefois, Rabaskabarnak représente sans doute l’exploitation la plus consciemment québécoise du thème, avec l’ouvrage collectif À l’est de l’apocalypse des Six Brumes.
En effet, l’auteur emprunte sans compter à la mythologie du terroir québécois, en y annexant Elvis au besoin, puisqu’il y a longtemps été big. La Corriveau, Rose Latulippe, Tom Caribou et les curés d’antan servent de modèles aux personnages de l’intrigue, dans un futur postapocalyptique assez flou. Et sent-on également l’influence des Chroniques du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg ?
Dans Rabaskabarnak, cela fait bien longtemps que l’apocalypse a mis fin à la techno-civilisation des Anciens. Le roman débute dans une « sœurie » en pleine campagne et en plein hiver : une communauté presque exclusivement féminine. Depuis que la stérilité frappe les survivants, les hommes et les femmes se sont fait la guerre avant de se regrouper en se coupant les uns des autres, à de rares exceptions près. Sherbrooke est devenue Mèrebrooke et Montréal l’île des Rois.
Ève Latulippe est la première fille née depuis que sa mère – Rose, évidemment – a trouvé le moyen de vaincre la stérilité. Elle ramène d’une sortie dans la neige une victime du froid, extirpée d’un banc de neige, mais le miraculé présente l’inconvénient majeur d’être un mâle, un jeune homme qui se fait appeler Zac. Pour éviter son exécution par les dirigeantes de la communauté, Ève s’enfuit avec lui pour le ramener chez lui… si seulement celui-ci se souvenait de son lieu d’origine.
Tout s’éclaircira quand ils arriveront sur l’île des Rois, où ils se ligueront avec Tom Caribou pour mettre fin à l’emprise d’un curé cybernétique, non sans l’aide de la musique du King. Réécriture ou non d’une Révolution tranquille fantasmée, c’est-à-dire de la défaite de l’Église par le rock’n’roll et le féminisme, le récit reste profondément jouissif grâce à des morceaux de bravoure plus ou moins sanguinolents. Les dialogues en québécois pur jus sont un point fort. Par contre, les contes décalqués que l’auteur insère çà et là nuisent à la continuité du récit et n’ajoutent pas grand-chose à son élan. Néanmoins, l’aventure est rondement menée et conserve jusqu’au bout un cachet singulier qui ne sera pas imité de sitôt.
Jean-Louis TRUDEL