Joël Champetier, L’Aile du papillon (Fa)
Joël Champetier
L’Aile du papillon
Beauport, Alire (Romans), 1999, 370 p.
« Comment savoir si tu comprends la même chose que moi quand tu lis un livre, hein ? Peut-être que personne comprend la même chose. Peut-être que les livres racontent des histoires complètement différentes, selon la personne qui les lit. Hein ? »
Jean-Robert, dans L’Aile du papillon, p. 114
C’est de main de maître que Joël Champetier nous ouvre les portes du Centre hospitalier Saint-Pacôme. Il nous y fait découvrir une riche tapisserie de personnages et d’ambiances dont il semble le seul à connaître tous les secrets. Michel Ferron est un détective privé. Habile démasqueur de fraudeurs d’assurances, il commence pourtant à trouver son travail monotone. C’est par défi personnel qu’il accepte une mission peu banale, infiltrer l’hôpital psychiatrique de Saint-Pacôme, à Shawinigan, à titre de client dépressif. Son but, aider l’administration à démanteler un réseau de drogue. Mais la vie à l’intérieur des murs de 1’hôpital finira par l’affecter. Les autres patients, le nombre élevé d’intervenants et le fait qu’il ne puisse se déplacer comme il veut, rendrons sa tâche extrêmement difficile. De plus, il semble lui-même sombrer dans une réalité autre que la sienne, où un groupe de rebelles fait la guerre contre des Nazis, au nom de l’Ambassadeur du royaume d’argent. De cette guerre onirique surgiront les fantômes de son passé qu’il tente d’oublier.
Ce qui frappe dans les romans de Champetier, c’est la vraisemblance de ses personnages. Il ne sombre pas dans les clichés faciles face aux patients de l’hôpital, il décrit leurs psychoses avec une simplicité désarmante. Il n’y a pas de super héros ici, non. Michel Ferron vit une espèce de démon du midi professionnel et il en paie le prix. C’est l’apogée du gars banal qui s’est créé une vie banale et qui, soudainement, est en manque de sensations fortes. On voudrait tellement qu’il gagne, mais dans la vie comme dans les romans de Joël Champetier, on n’est jamais trop sûr si on a gagné ou si on a perdu.
C’est d’ailleurs ce qui dérange le plus, surtout si vous connaissez bien la production de l’auteur. C’est une manie chez lui de tout vouloir détruire, de tout vouloir casser à la fin de ses romans (adultes). Son talent pour nous faire croire à son héros est si maîtrisé, que lorsque celui-ci échoue à la fin, on se sent frustré, impuissant. Mais c’est peut-être la clef de ce roman. Champetier nous murmure à l’oreille des vérités que l’on préférerait ne pas entendre. Il nous fait secrètement une critique du système hospitalier, avec ses coupures, son personnel en constant changement, ses abus qui restent impunis, mais surtout, la nonchalance des administrateurs. Quand Michel Ferron confronte le Dr Leduc au sujet d’un patient qui s’est fait battre par un préposé, le psychiatre se dépêche de répondre : « Eh bien… Quelquefois, il arrive que le personnel s’impatiente. » Puis, tout en condamnant le geste, il l’excuse en le mettant sur le dos des compressions budgétaires.
C’est un roman du virage ambulatoire qu’on nous propose, un roman qui aurait pu se passer de l’étiquette fantastique. Avec L’Aile du papillon, Joël Champetier est en train de faire changer les choses en littérature de genre, il continue tranquillement d’effacer la ligne qui sépare le mainstream du fantastique. Bravo !
Éric BOURGUIGNON