Sébastien Chabot, Noir Métal (Fa)
Sébastien Chabot
Noir Métal
Québec, Alto, 2021, 336 p.
N’espérez ni sourires ni tintements de clochettes en pénétrant dans Noir Métal de Sébastien Chabot. À travers son nouveau roman, l’auteur plonge ses lecteurs dans un univers glauque, sans morale, où on ne trouve aucun répit devant l’horreur. Sebastian Anderson, fraichement sorti du centre jeunesse, revient à Sainte-Florence, son village natal. Le jeune homme, traumatisé, ne parle pas, mais joue une musique chargée de hurlements et de murmures. On le devine rapidement : Sebastian n’est pas revenu en Matapédia pour y trouver la paix. À travers son art métal et son silence vengeur, il cherche plutôt à faire tomber les masques de ceux qui l’ont avili, à révéler l’arrière-scène d’un monde sordidement paisible. Entre le Général, grand prêtre de la Vita Cirkeln, secte aux racines scandinaves, qui semble contrôler les médias et les autorités, Chaba, policier corrompu à la conscience torturée, Eva, fillette rebelle qui refuse les agressions auxquelles sa mère veut la soumettre, la vérité sur Sainte-Florence se dévoile peu à peu, nue et grouillante de vers.
Je suis sortie troublée de ma lecture de Noir métal. À la fois incrédule et dégoutée par les évènements mis en scène – corruption, endoctrinement religieux, désastre écologique, meurtres et surtout, abus d’enfant – mais aussi éblouie par le talent de conteur de Sébastien Chabot. Les éditions Alto comparent en quatrième de couverture Noir métal aux univers de David Lynch, et ce n’est pas sans raison. Les mots de Chabot dérangent par la violence des images qu’ils suscitent et par le reflet halluciné de la société qu’ils renvoient. Ils nous obligent à nous souvenir que pour maintenir le vernis social, on préfère souvent détourner les yeux que de regarder en face la souffrance. Même celle d’un enfant torturé. Même celle d’un enfant violé.
C’est peut-être à cause de cet aveuglement volontaire que, tout au long du roman, la nature et les objets inanimés semblent plus vivants et expressifs que les habitants du village. La faune mutante des environs – les requins-scies comme on les appelle par ici –, chiens et coyotes de la taille d’un homme, écrevisses de plus d’un mètre dans les ruisseaux témoignent à travers leurs corps monstrueux de la folie des êtres humains. Des statues de saints abandonnées dans une vieille grange semblent prêtes à s’éveiller à tout instant pour faire expier à Sainte-Florence ses crimes innommables. Un ourson en peluche aux yeux arrachés révèle par ses larmes et ses tremblements le traumatisme de l’enfance de Sebastian. Certaines de ces descriptions m’ont littéralement arraché le cœur, et m’ont laissée impuissante devant la cruauté du monde. Que faire d’autre face aux plaies ouvertes d’un ourson torturé et d’un jeune garçon muet, sinon sangloter avec eux, avant de tourner la page ?
Mais, malgré les ignominies du passé et les mensonges du présent, je n’ai pas pu passer à côté de l’étrange beauté du roman, de cette esthétique de la vengeance et du sang versé. Une esthétique noir métal. Quand Sebastian chante, armé de cadavres de corbeaux et de têtes de requin-scie, le visage blanc et maquillé d’hémoglobine, on sent trembler les fondations mêmes de Sainte-Florence. « Des mots libérés de ceux qui les disent, entendus des fous et des mourants. Écoute-les fort jusque t’en faire éclater les tympans. Étrangle le cou de ce qui tient l’univers. » Lorsque les hurlements de Sebastian ont enfin déchiré le silence, j’ai bien cru que je pourrais réduire l’enfer en cendre avec lui.
Anaïs PAQUIN