Cassie Bérard, L’Équilibre (SF)
Cassie Bérard
L’Équilibre
Montréal, La Mèche, 2021, 270 p.
Qu’arriverait-il si on renversait le système carcéral ?
Le régime de l’équilibre a tenu sa promesse : les prisons n’existent plus ! Désormais, la gestion des prisonniers n’incombe plus à l’État, mais bien au simple citoyen et citoyenne. Tout comme la position de juré est déterminée par hasard, n’importe quel individu peut désormais se voir imposer le travail de geôlier. Avoir dans sa cour son détenu personnel, bien installé dans une cellule hermétique.
Comment et pourquoi la société canadienne a-t-elle décidé d’opérer un changement aussi drastique dans sa structure institutionnelle ? Cassie Bérard, écrivaine malicieuse, s’amuse avec ses lecteurs et ses lectrices et ne distille qu’au compte-gouttes les informations sur son univers décalé. On n’apprend ainsi que vers le tiers du roman qu’une pandémie – cela ne vous rappelle rien ? – aurait motivé, du moins en partie, cette redéfinition du système carcéral. Un virus peut se répandre facilement, dans un lieu clos, à la population condensée, comme une prison… Cependant, on comprend à travers les lignes que si les citoyens et les citoyennes ont voté pour le Parti de l’équilibre, c’est surtout par dégoût pour la politique traditionnelle. Par volonté drastique de changement, quel qu’il soit. Même si ça signifie échanger un système médiocre pour un système en putréfaction.
Au moment du récit, cela fait seulement dix ans que le régime de l’équilibre est en place, et déjà, celui-ci menace de s’écrouler. Estelle, inspectrice, et son équipe sont mandatées pour enquêter sur une série d’invasions inexplicables. En effet, les nouvelles cellules ne peuvent s’ouvrir, à moins qu’un ouvreur – dont le statut est maintenu secret – ne l’ordonne. Les invasions seraient-elles ourdies par un groupe d’ouvreurs dissidents ? À moins qu’une organisation extérieure ne les manipule ? Devant Estelle, les difficultés se multiplient : certains dossiers sont incomplets ou manquants, les systèmes informatiques plantent, les tensions entre collègues s’exacerbent… Et c’est sans compter sur Madeleine, sa compagne, qui s’éteint chaque jour davantage, rongée par le cancer.
Étrange polar donc que propose l’autrice, dans lequel le travail de bureau et la vie personnelle prennent autant sinon plus de place que l’enquête sur le terrain. À travers le quotidien d’Estelle, l’uchronie de L’Équilibre s’étoffe de chair et de sentiments, et la réalité alternative qui apparaissait de prime abord absurde devient probable, presque tangible. Qu’est-ce qui sépare réellement notre univers de celui du roman ? À mesure que filaient les pages, j’ai réalisé avec effroi que la réponse à cette question semblait pour moi de plus en plus floue. Comme si nous n’étions qu’à une crise, à une décision politique de voir s’écrouler la société telle qu’on la connaît.
La fin n’a pas satisfait ma faim de lectrice. Il reste trop de mystères irrésolus. C’est sans aucun doute un effet recherché. Il faut comprendre L’Équilibre comme un roman qui propose un point de vue microscopique – à petite échelle, centré sur le regard de quelques individus – sur un problème global. Cela ne m’empêche cependant pas d’espérer une suite, ou encore mieux, une adaptation télévisée. Il y a dans L’Équilibre de Cassie Bérard tout un monde qui attend de s’étendre, des abîmes qui ne demandent qu’à être explorés.
Anaïs PAQUIN