Jean-Jacques Pelletier, L’Assassiné de l’intérieur (Fa)
Jean-Jacques Pelletier
L’Assassiné de l’intérieur
Québec, L’Instant même, 1997, 188 p.
Depuis quelques années, Jean-Jacques Pelletier nous a habitués à des romans assez corsés, en terme de longueur et de complexité. C’est pourquoi j’ai été surpris de découvrir ce petit recueil, qui compte plus de vingt-cinq nouvelles très courtes. À la lecture, je me suis rendu compte qu’il s’agissait pratiquement plus de vignettes que du genre de nouvelles que je suis habitué à lire (par exemple en revues de F&SF). Des vignettes, donc, mais écrites sur le ton du conte, comme si Pelletier nous racontait en cinq minutes l’histoire de la vie d’un personnage, alors que nous sommes autour du feu. Il s’agit d’ailleurs d’un style que l’on a souvent retrouvé chez L’Instant même, qui nous offre à l’occasion des récits qui relèvent de nos genres de prédilection. Ce qui est le cas de la plupart des nouvelles de ce recueil, qui racontent des choses « bizarres ».
La nouvelle-titre nous raconte la journée d’un homme qui se promène avec un couteau planté dans la poitrine, sauf que le couteau n’y a pas été planté de l’extérieur, il semble plutôt avoir poussé de l’intérieur… « Le Chirurgien saignait parfois » nous raconte la mésaventure d’un chirurgien qui n’arrête pas de saigner après s’être coupé avec son rasoir. Pelletier poursuit ses histoires avec son fossoyeur d’illusions, un piéton qui ne s’arrête pas de marcher, un homme qui est littéralement grugé par le temps, un enfant aphone qui a une passion pour les trous, un autre qui ressemble à une tortue, ainsi de suite.
L’imaginaire de Pelletier est débordante et on s’amuse vraiment à la lecture de chacune de ces courtes histoires. Le titre et les premières phrases mettent immédiatement le lecteur en face du personnage-phénomène, qui est développé par la suite avant une chute imprévisible malgré la longueur des textes. Car ces histoires ont un premier point commun ; elles ne racontent pas des histoires de machines, d’extraterrestres ou de technologie de pointe ; elles mettent toutes en scène un personnage curieusement différent des autres humains. Un enfant qui colle, un autre avec la peau qui se métamorphose en billets de banque, une petite fille qui meurt plusieurs fois par semaine, Pelletier s’amuse visiblement à raconter ces histoires de corps et d’esprit divergents.
Le second point commun de ces histoires est un thème récurrent à plusieurs d’entre elles ; les enfants et la manière dont les parents les éduquent, les élèvent. Cette thématique, qui revient le plus souvent sous l’angle des parents qui veulent trop bien faire, ou encore qui en font trop et « fabriquent » un enfant solitaire, différent des autres, elle est accentuée par un cycle intitulé « Histoires d’outre-mère ». Cet ensemble de six nouvelles éparpillées dans le recueil est plus de la poésie en prose que de la nouvelle proprement dite, et semble présenté de la sorte pour appuyer cette thématique du point de vue des enfants sur leur éducation. La thématique atteint même un point culminant avec la dernière « nouvelle », « Le Réparateur d’histoires », qui établit un lien direct entre le cycle et la thématique des autres nouvelles.
En un mot comme en cent, ce recueil fort différent des autres écrits de Pelletier – et dans un tout autre genre – est excellent.
Hugues MORIN