Stanley Péan, Zombi Blues (Fa)
Stanley Péan
Zombi Blues
Montréal, La Courte Échelle, 1996, 281 p.
Stanley Péan a une très belle plume et c’est un vrai plaisir que de le lire. Sa propre, parfois poétique, parfois prosaïque, change selon ce qu’il a à nous raconter tout en conservant un parfait équilibre ; ni trop lourde, ni trop légère, c’est une écriture stylisée qui pourtant ne prend pas le pas sur l’histoire elle-même. Lisez, par exemple, le paragraphe d’ouverture :
« Le crépuscule donne à Port-au-Prince des airs de bête blessée sur laquelle les ténèbres s’abattent telle une volée de vautours. Dans une débâcle sanglante, le soir renverse le jour, hisse son drapeau noir, se proclame président à vie. Et lorsqu’il daigne laisser poindre le soleil, ce n’est que pour mieux le guillotiner à nouveau. »
C’est un exemple parfait de texte à double sens. En décrivant la tombée de la nuit, l’auteur nous parle en réalité de la situation politique haïtienne. Génial.
Un chef makout, Barthélémy Minville, tortionnaire et assassin enthousiaste, un véritable sans-maman qui a connu son heure de gloire sous Papa Doc, débarque un beau jour à Montréal, flanqué de son veule secrétaire et d’un garde du corps albinos et taciturne. Son arrivée soulève l’ire de la communauté haïtienne, plus particulièrement celle de Ferdinand Dauphin, propriétaire du restaurant Manje Lakay, qui a un vieux compte à régler avec Minville. Il monte une expédition punitive mais le sinistre personnage est protégé par un simbi-je-rouj, une créature surnaturelle maléfique. (On retrouve dans ce roman un lieu, le restaurant Manje Lakay, et deux personnages que Péan avait utilisé dans une ancienne nouvelle, « La Bouche d’ombre » (dans La Plage des songes). Dauphin connaîtra une mort aussi horrible qu’ironique tandis que Marie-Marthe, la serveuse, subira un sort moins définitif mais touchant. Condamnée à la solitude, tous ses flirts mènent au néant. C’est un personnage très secondaire qui m’a néanmoins frappé. J’espère la revoir dans d’autres œuvres de Péan.)
Le vodou en terre québécoise : le sujet a été surutilisé dans le passé, me direz-vous ? C’est un fait, mais Péan se montre plus crédible que les autres dans le traitement de ce thème, surtout au niveau des mythes qui servent de toile de fond au roman, et non pas dans les situations elles-mêmes qui ne sont pas plus réalistes que dans n’importe quel roman d’horreur. Péan est un Québécois qui a émigré ici l’année même de sa naissance : ses géniteurs étant d’authentiques Haïtiens, on peut dire que la mythologie vodou fait partie de son patrimoine. Il s’en sert pour développer à travers toute son œuvre un univers mythique original et, pour ceux d’entre nous qui ne sont pas d’origine haïtienne, exotique. C’est aussi un des romans qui témoigne le mieux du caractère multiculturel de Montréal et des environs.
En apparence, il s’agit de fantastique mais l’auteur parvient à donner un semblant de rationalité qui fait que Zombi Blues peut aussi être considéré comme de la SF au sens large. Quoiqu’il s’agisse en principe d’un roman pour adultes, ça risque d’attirer les ados qui ont aimé les autres romans que Péan a écrit pour eux. Certaines scènes m’apparaissent cependant comme trop dures et osées. (D’un autre côté, il est possible que ces ados voient pire en vidéocassettes. Je me rappellerai toujours que l’année dernières, les filles d’une de mes amies avaient fêté le Jour de l’An en visionnant Return of the Living Dead III.)
Si Zombi Blues n’est pas le roman le plus subtil qui soit, car les clichés ne manquent pas il faut bien l’avouer, l’auteur a quand même des choses à nous dire. Il nous présente la planète comme un monde sombre et désespérant où règnent les dictateurs et les tortionnaires. On en élimine un, sept autres prennent sa place. Les Haïtiens ont souffert aux mains de tels personnages autant que les Allemands sous Hitler ou les Russes sous Staline. On l’oublie parfois car, ainsi que le faisait remarquer Péan dans son roman jeunesse La Mémoire ensanglantée, les Haïtiens ont tendance à idéaliser le pays de leur jeunesse.
Zombi Blues est donc un roman d’horreur à la mode. Nous avons le cocktail habituel. Sexe, Sang, Suspense, que je trouve souvent indigeste et bassement commercial. Pourtant, dans ce cas-ci, je veux bien faire fi de mes préjugés en raison des éléments intéressants mentionnés plus haut. D’ailleurs, mes goûts ne sont pas toujours d’une extrême sophistication. J’ai encore de l’intérêt pour l’honnête littérature populaire et je peux accepter jusqu’à un certain point une dose de stéréotypes et de clichés. Barthélémy Minville est à cet égard un méchant archétypique, un de ces exécuteurs de basses œuvres, assoiffés de sang et de pouvoir dont la seule politique est celle de la terreur, qui forment la charpente de tout système totalitaire. Sa façon ampoulée de s’exprimer le rapproche un peu des ennemis de Bob Morane mais en plus terrifiant parce que plus crédible, en partie du moins. Péan rend bien son côté maléfique et malsain.
Péan maîtrise bien le genre en question. J’ai été surpris car à ce que je sache, il se fait peu de cette sorte de livres au Québec où les écrivains, obsédés par le sérieux et la respectabilité, même quand ils font de la « paralittérature », produisent souvent des œuvres peu accessibles au lecteur moyen, celui qui s’envoie avec passion derrière la cravate du Stephen King ou du Mary Higgins Clark. Péan, lui, ne perd jamais son objectif qui est d’agripper son lecteur et de ne plus le lâcher. Il essaie très fort en tout cas.
Donc, malgré quelques réserves, j’aime bien Péan et je finirai bien par faire main basse sur tout ce qu’il a écrit. Il a du talent et un métier sûr. Bien qu’il ait déjà quelques romans à son actif, j’ai l’impression qu’il n’en est qu’au début de sa carrière et qu’il va nous surprendre dans le futur.
Daniel JETTÉ