Yves Meynard, La Rose du désert (SF)
Yves Meynard
La Rose du désert
Québec, Le Passeur (Pure Fiction), 1995, 202 p.
Ce recueil de nouvelles est à la fois le premier livre d’Yves Meynard et le premier livre de la nouvelle collection Pure Fiction des éditions Le Passeur. Des cinq textes présentés ici, deux sont connus des lecteurs de Solaris : « Antartica » (Solaris 87) et « Une présence de Serendip » (Solaris 93). Deux autres sont des rééditions de nouvelles parues aux Publications Ianus : « La Rose du désert », parue dans Orbite d’approche 1, et « Les Hommes-Écailles », parue dans Sous des soleils étrangers. La cinquième nouvelle est inédite, « Équinoxe » ; inédite en français puisque la version anglaise a été publiée dans Tesseract4. Je m’attarderai sur les trois dernières en reportant le lecteur de Solaris dans ces anciens numéros pour plus de détails sur les deux autres.
« Équinoxe » se passe sur un immense vaisseau qui voyage vers le bout de l’univers pour pouvoir créer Dieu, qui créera l’univers suivant. Nous suivons l’histoire de Catherine. Le jour où elle devient une femme, elle doit aller au champ de rêves pour avoir la révélation : savoir enfin si elle appartient au bien ou au mal. Elle revient du champ avec sa « vision »… est-ce le bien ou le mal ? Le monde est-il si carré ?
« Les Hommes-Écailles » sont à la fois les habitants et l’équipage d’un poisson-dieu, Léviathan, qui les emmène d’île en île. Jorn semble refuser le destin inéluctable des hommes de sa race, dont l’ultime état sera celui d’écailles intégrées au poisson-dieu. Le destin de Jorn semble par contre particulier : sera-t-il celui qui aura les visions de leur destination, celui qui communique avec Léviathan ? Ou plutôt celui qui désertera ses pairs, espérant éviter sa transformation finale ?
« La Rose du désert » nous plonge dans l’univers d’un groupe d’éternels dont la tranquillité est troublée par le retour de l’un d’eux, partis dans le désert et revenu complètement fou. On devrait l’éliminer pour le bien de tous. Mais quelque chose est éveillé en Mespedo, lors de cet épisode. Quelque chose qu’il croyait avoir définitivement oublié depuis des siècles. Trouvera-t-il les réponses qu’il cherche dans le désert ? Ou le désert ne lui fournira-t-il que d’autres questions ?
Les nouvelles présentées dans ce recueil relèvent de la SF pure mais sans le jargon technoscientifique que l’on associe souvent à la hard SF. Le dépaysement est prononcé à chaque fois, mais des points de références sont laissés ici et là. Ces repères sont à la fois efficaces et insolites. En effet, retrouver des concepts, des expressions ou des mots typiquement humains dans des univers non détaillés mais définitivement hors du commun, ajoute une dimension mystérieuse aux histoires qui nous sont racontées. Par exemple, les lieux appelés Montréal, Le Caire ou New York dans le vaisseau-civilisation d’« Équinoxe ». Autre exemple : parmi les créatures rencontrées au gré des voyages des Hommes-Écailles, il y a les Uomaars et les Bleus, mais aussi des Lamies et des Gaellans, qui renvoient à des images plus familières.
À part « Une princesse de Serendip », d’un style plus éclaté, avec des points de vue multiples, les autres nouvelles sont bâties sur une trame semblable. Bien qu’il s’agisse de textes indépendants les uns des autres, une thématique récurrente semble passionner Meynard : la symbolique du passage à l’âge adulte, devenir un homme/une femme, la transformation… C’est la thématique d’« Équinoxe » (bien-blanc/mal-noir). Cette symbolique imprègne aussi l’aventure des « Hommes-Écailles ». De plus, même pour les Éternels de la nouvelle titre, la Transformation est l’un des éléments-clés de l’intrigue.
Dans chacune de ses nouvelles, l’écriture d’Yves Meynard est extrêmement personnelle. L’auteur y soigne particulièrement la musicalité de la phrase. De son propre aveu, Meynard n’écrit pas (seulement) pour divertir, mais surtout pour émouvoir. Ce choix de l’auteur se fait sentir à deux niveaux. Le premier, et c’est peut-être le seul point où mon appréciation sera moins enthousiaste, c’est au niveau des chutes des intrigues. Les finales m’ont pratiquement toutes laissées sur ma faim. Les mondes évoqués sont puissants, fascinants, le langage agréablement musical, mais l’histoire, la portion temporelle de la vie de ces univers, est un cran en dessous du reste. La « révélation » de la fin d’« Équinoxe » déçoit un brin. De même que la chute des « Hommes-Écailles ». Celle de « La Rose du désert » est plus forte, mais nous laisse cette fois l’impression de n’avoir lu qu’une portion de roman. Probablement à cause de cette fin plus réussie, la nouvelle titre demeure ma préférée. Peut-être aussi l’est-elle parce qu’elle regroupe tous les éléments forts de l’écriture d’Yves Meynard, à l’intérieur d’une intrigue plus complexe, à la fois plus ambitieuse et plus intimiste, moins existentielle.
Par contre, au niveau de l’émotion, chaque nouvelle du recueil atteint sa cible sans l’ombre d’un doute. Les émotions des personnages sont brillamment rendues. L’identification personnage-lecteur est très puissante, et ceci malgré le fait que ces personnages ne soient pas tous humains. Meynard veut émouvoir et il réussit parfaitement à le faire. C’est même là sa principale force. Et le fait que l’intrigue soit systématiquement reléguée au second plan démontre le parti pris de l’auteur.
Yves Meynard est l’un des meilleurs écrivains de sa génération, mentionne Claude Janelle. Les lecteurs de Solaris en avaient déjà eu un aperçu. Le Grand Prix de la SFFQ 1994 remporté par l’auteur semblait confirmer cette opinion. Le recueil La Rose du désert ne laisse plus aucun doute sur l’immense talent de ce jeune auteur.
Hughes MORIN