Stanley Péan, Le Tumulte de mon sang (Fa)
Stanley Péan
Le Tumulte de mon sang
Montréal, Québec Amérique, 1991, 177 p.
Paru depuis près de deux ans, le premier roman de Stanley Péan, Le Tumulte de mon sang, reçoit maintenant dans ces pages l’attention qu’il aurait dû se mériter bien auparavant. De telles recensions tardent parfois et il peut sembler étrange, sinon suspect, que certaines œuvres écrites par des producteurs actifs du milieu soient ignorées. Pour le cas qui nous préoccupe, il s’agit, bien bêtement, d’un oubli – « l’horreur est humaine », comme l’a déjà écrit Péan – que nous réparons par le présent compte rendu.
Stanley Péan, qui « hante » depuis plusieurs années le milieu de la science-fiction et du fantastique québécois était surtout connu comme l’auteur de nombreuses nouvelles fantastiques, publiées dans de multiples périodiques québécois et même européens. Pierre D. Lacroix lui avait par ailleurs consacré un Carfax, jadis, ayant déjà repéré et encouragé son talent. Nous avons profité d’un soir froid de novembre, venteux et lugubre, dans un décor de lune pleine et sans nuage – comme il se doit –, pour nous plonger dans ce premier roman.
D’entrée de jeu, dans une note liminaire, Stanley Péan ne cache pas sa dette envers Edgar Allan Poe dont un texte, « La Chute de la Maison Usher », lui sert de toile de fond pour l’ensemble de son récit. On y retrouve notamment Roderick Usher et sa sœur lady Madeline sous les traits de Rodrigue Duché et sa nièce Madeline. La parenté entre les œuvres est évidente et à peine distanciée. Maisons de pierres impressionnantes et mystérieuses à l’écart du monde, narrateurs non identifiés pour l’un (si ce n’est comme ami d’Usher et ex-camarade de classe) et quasi anonyme pour l’autre (on devinera la filiation, mais on ne saura jamais le prénom du poète arvidois), terreurs des personnages en duplicata, orages communs aux deux textes, bibliothèques bien nanties tant chez Poe que chez Péan, l’étang du premier deviendra piscine pour l’autre, le poème de l’un se transforme en conte pour le second, etc. Les parallèles pourraient ainsi se multiplier encore, se confondre, s’écarter légèrement jusqu’à la terminaison des deux propos qui se rejoignent dans une finale équivalente : les deux maisons sont la proie des flammes pendant que les narrateurs, perturbés par ce qu’ils ont compris, reviennent vers la « civilisation ». L’étude des rapprochements serait à poursuivre tant ils sont volontaires chez Péan. (Peut-être le ferons-nous personnellement un jour ?)
C’est un risque énorme que l’auteur québécois a pris en intégrant, sur une trame fort connue puisée à même les Nouvelles Histoires extraordinaires de Poe, des modifications sommes toute relativement mineures. (Ces variantes, par ailleurs, lui vaudraient – si les textes étaient presque contemporains – de sérieuses accusations de plagiat !) Car il n’est pas facile d’imiter un mentor tout en cherchant l’originalité. C’est souvent une opération casse-gueule où l’écrivain peut perdre de sa crédibilité.
La mouture de Péan m’a surpris. Agréablement, faut-il reconnaître ! Le Tumulte de mon sang mérite qu’on s’y arrête tant pour sa valeur propre que pour son « dédoublement ». La phrase est fort satisfaisante, le vocabulaire riche et varié (comme chez Poe) sans être précieux et l’emploi de termes créoles ne crée pas de problèmes, un glossaire suit les vingt-cinq chapitres assez courts (4-9 pages environ) du roman. La tension dramatique est bien soutenue et on ne peut guère quitter le livre sans l’avoir lu d’une traite (en dépit de la plainte du vent qui siffle toujours et des branches d’arbres qui battent la maison).
Péan a créolisé l’atmosphère empruntée. Ces personnages sont des Haïtiens exilés de leur terre natale, mais que le rituel vodou (sic) influence encore malgré leur refus d’y croire fermement. Le narrateur, un noir d’Arvida, vit depuis quelques mois avec une journaliste de couleur à Montréal. Celle-ci l’entraîne chez oncle Rodrigue – par qui elle a été élevée – afin d’y prendre des vacances d’amoureux, tout en retrouvant l’univers de son enfance.
L’accueil n’est pas celui qu’escomptait la nièce de Duché : le fief est surveillé par les hommes de mains de l’oncle, la journaliste s’aperçoit qu’il s’agit d’un trafiquant d’armes ; le narrateur a d’autre part d’étonnants cauchemars éveillés où, en dépit de ses efforts de rationalisation et d’analyse, le cérémonial vodou prend de plus en plus de place. La tension monte. Il y aura des morts, dont Madeline. Le jeune homme anonyme découvrira finalement ses origines à travers le drame qui fera disparaître le domaine Duché dans lequel il appréhendait tant de venir.
Le Tumulte de mon sang nous paraît un hommage réussi, car il supporte bien la lecture en parallèle. La vingtaine de pages de la nouvelle de Poe s’est mutée en un roman solide, structuré, captivant jusque dans ses derniers moments. On pourrait même ajouter que l’histoire n’a pas vieilli… ce qui peut presque excuser nos délais ! (Hum !)
George Henri CLOUTIER