Jean-François Somain, La Vraie Couleur du caméléon
Jean-François Somain
La Vraie Couleur du caméléon
Montréal, Pierre Tisseyre, 1990
J’ai hésité devant ce livre. Je n’avais pas été convaincu par ce que j’avais lu auparavant de cet auteur, mais je souffrais probablement de bégueulerie (clin d’œil à l’auteur). Finalement, la couverture à la Picasso et le titre original ont emporté ma décision.
J’ai lu et j’ai aimé, de la même façon qu’avec un ami avec qui on se sent bien. C’est un roman plein de lumière et de joie de vivre qui propose diverses réflexions concernant la vie, la littérature, l’écriture, bref de quoi stimuler les méninges. On y parle du milieu littéraire québécois et, plus particulièrement, de celui de la SF, dont il y a une certaine critique désenchantée avec laquelle on sera d’accord ou pas. Moi, je ne me prononcerai pas là-dessus, mais il me semble qu’il n’est jamais mauvais de se remettre en question, à condition que ce ne soit pas dix fois par jour.
Vous aurez deviné qu’il ne s’agit pas de SF mais qu’un lien ténu rattache La Vraie Couleur du caméléon au genre que nous aimons tous, car le protagoniste principal est un écrivain, de SF entre autres, cela étant une question de choix selon la sorte de nouvelle ou de roman qu’il a envie d’écrire. Cette largesse d’esprit me plaît car je ne crois pas qu’il existe une si grande différence entre la science-fiction et les autres genres littéraires, mis à part que ses possibilités au niveau de l’imaginaire sont plus vastes. C’est une question de goût tout simplement. Sortons du ghetto.
Victor Tajimata, le héros, est un homme extrêmement sympathique et tolérant qu’on aurait envie de connaître dans la réalité. La littérature, et surtout l’écriture, sont ses raisons de vivre. Toute son existence passe par ce creuset. Tout au long de ma lecture d’ailleurs, je me suis demandé jusqu’à quel point Somain ressemble à sa création.
Il est difficile d’expliquer l’effet que m’a fait ce roman. En tant qu’aspirant-scribouillard, je me suis tout de suite identifié à Victor ; puisque la forme est celle d’une fiction plutôt que d’un « how-to », Somain peut révéler des aspects de la vie de l’écrivain que l’on ne retrouve pas habituellement dans l’autre. Ici, le « comment » est moins important que ce qui est. Ainsi, Victor calcule qu’il n’a, considérant qu’il doit travailler pour vivre et le temps que lui demande la vie sociale, qu’une dizaine d’heures à consacrer à l’écriture par semaine. Lire cela me rassure, je vois que je ne suis pas le seul dans ce cas.
C’est aussi un livre très positif. Victor n’est certainement pas un artiste dépressif, cynique et tyrannique, tel qu’on se plaît souvent à les présenter. Au contraire, c’est un homme heureux de son sort, assez réaliste pour se rendre compte qu’il fait partie des privilégiés. Équilibré, il ne s’en fait pas trop si un de ses manuscrits est refusé. Il le retravaillera plus tard et le reproposera. Il refuse aussi l’à-plat-ventrisme devant les critiques et les éditeurs, tout en sachant conserver ce qui est bon dans les avis qu’on lui donne. Ce qui ne l’empêche pas aussi d’être un peu « pute » lorsqu’il félicite un confrère pour une œuvre qu’il n’a pas lue. C’est un message d’espoir pour tous les écrivains combattants qui tentent de réussir dans leur profession, une belle philosophie. « Mais Victor écrit toujours ce qu’il veut ». Pour moi, c’est un exemple à suivre, sauf si on me propose un gros contrat.
Enfin, le héros est d’origine japonaise. Somain évite l’ethnocentrisme. C’est vrai après tout, le Québec a un fort taux d’immigration mais on écrit comme si ces gens n’existaient pas. À quand le premier héros québécois noir ?
L’écriture est limpide, pas de lourdeurs, ça se lit comme on boit un breuvage frais et pétillant.
Bon, me voilà converti. Éventuellement, je vais essayer d’autres bouquins de Jean-François Somain.
Daniel JETTÉ