Bertrand Bergeron, Transits (Hy)
Bertrand Bergeron
Transits
Québec, L’Instant même, 1990, 130 p.
Bertrand Bergeron en est à sa troisième publication chez le même éditeur : trois recueils de nouvelles. Avec une régularité d’horloger, il offre à son public lecteur, depuis 1986, un volume à tous les deux ans.
Dans les quatorze récits de Transits, peu de nouveau, pourrait-on croire. Il n’est pas aussi aisé de trancher. Bien sûr, on reconnaît entre la première production et celle de 1990, des parentés patentes car la nouvelle-type de Bergeron questionnera les relations humaines dans les diverses facettes de l’affectivité, parlera volontiers des rapports homme-femme, homme-enfant, mère-enfant, et débouchera souvent sur les fonctions individuelles dans les microcosmes sociaux qu’il invente. Et ce, dans des textes bien réalistes, frontières ou inclassifiables, ou alors plus évidemment spéculatifs ou encore, mais moindrement, fantastiques.
On y relèvera aussi régulièrement une tendance à la méfiance, sinon à la paranoïa, chez ses protagonistes, vaincue(s) parfois par une curiosité de connaître l’autre avec ses différences. C’est pour certains – généralement des mâles, accessoirement narrateurs – l’occasion de se confronter aux préjugés et impressions laissés par leur société. Sou ventes fois également, il sera question de gens cachés (à eux-mêmes, à un environnement immédiat ou plus largement social…), échappés, perdus dans un monde ou y étant confinés.
Beaucoup d’univers clos, fermés, lovés, repliés (fatalement, pourrait-on ajouter) dans les propositions textuelles de Bertrand Bergeron. Ces univers sont pourtant perméables et co-existent, sans interdépendance soulignée, avec d’autres. Quelques individus transgressent les frontières, en dépit des risques supputés. L’altérité excite l’intérêt… et donne des ressorts aux contenus !
On pourra découvrir, en plus, que la gestualité des personnages créés par l’auteur devient thématique assez importante d’une nouvelle à l’autre. Les mouvements du corps, décomposés dans de lentes descriptions, constituent, à plus d’une occasion, l’objet et le sujet mêmes des récits.
En comparant l’ouvrage de 1986 avec le plus récent, on a pu constater d’autre part la mise en veilleuse de l’interpellation du narrataire, bien fréquente dans Parcours improbables et rare – deux fois ? – dans le recueil actuel (« La Vie de faubourg » et « Failles » nous semblant être les seuls portant encore cette caractéristique qui nous avait si agréablement étonné auparavant).
Mais qu’en est-il de la science-fiction ou du fantastique dans ce Transits ? Sept textes nous paraissent appartenir à la SF, spéculative surtout – nous revenons sur certains plus bas – alors que deux (« Delphes », par le cheveu d’un train qui traverse l’Atlantique sur les flots, et « Failles » plus sûrement, par sa route qui rétrécit sous les roues d’une voiture) s’accrochent au fantastique… selon notre subjectivité !
C’est « L’Autre » qui nous a le plus impressionné dans tout ce livre : une femme saute du mur mitoyen qui sépare le monde des hommes de celui des femmes, elle se blesse aux chevilles ; un homme, témoin de la chute, la recueille et la cache dans un local presque sans services. Un sain appétit de savoir l’emportera sur les on-dit véhiculés dans leurs sociétés respectives. Cette nouvelle nous apparaît par ailleurs retenir la plupart des aspects typiques du récit bergeronnien, jusque dans le devenir possible de leur liaison.
« Courir » et « La Division » nous amènent dans un futur relativement proche : le premier dans un monde où les bébés-éprouvettes, à cause leurs facultés supérieures, spécifiques à chacun, sont vus comme des erreurs historiques (et la mère cache l’enfant génétiquement manipulé) ; le second dans un système social où les clones ont une espérance de vie bien courte et servent à l’espionnage industriel.
« Bellamy, par exemple » nous offre une projection tragique de notre avenir de pensionné-retraité. La société québécoise, sait-on depuis quelques années, n’aurait pas, dans quelques brèves décennies, suffisamment de payeurs (et de payeuses !) pour ses personnes âgées – nous ! – alors en plus grand nombre qu’actuellement. (Depuis, inquiétons-nous moins, le Gouvernement a fait le choix d’augmenter les cotisations présentes pour pallier à ce manque à redistribuer !) Bergeron en a tiré un scénario bien dramatiquement alarmant où les vieux sont assassinés, malgré des mesures de protection renforcées, avec la complicité tacite des assureurs et d’une partie du système.
Cette dernière nouvelle était parue, légèrement modifiée, dans Solaris n° 82, en janvier 1989. Nous l’avions également lue et appréciée, avant retouches, lorsque l’auteur l’avait présenté pour le Prix Solaris 1988. Soulignons également que dix autres textes de Transits avaient connu publication préalable dans d’autres revues.
De l’ancien (surtout) et du nouveau (prou) dans une écriture alerte, vive, automatique (tant la phrase s’affiche anti-conformiste), bien souvent proche de l’oralité, se jouant régulièrement des codes de la ponctuation, voilà quelques traits du style de Bertrand Bergeron. À lire… pour les histoires à faire réfléchir !… Pour les projections (dé)libérantes ?
Georges Henri CLOUTIER