Lise Lacasse, La Corde au ventre (SF)
Lise Lacasse
La Corde au ventre
Laval, Trois, 1990, 125 p.
Voilà une auteure qui risque d’être surprise de se voir cataloguée comme productrice de science-fiction. Son second roman se rattache pourtant au genre précité. La Corde au ventre nous propose un univers post-cataclysmique. Le grand-père de la narratrice fait un jour le récit bref de ce qui a perturbé la vie d’un petit village touristique américain : « [U]n an avant ta naissance, des bombes se sont écrasées sur l’Amérique et Sylver Bud est resté tout fin seul sur la terre. » (p. 34) C’est par cette référence particulière que le récit bascule dans la SF.
Cependant, même si l’on peut supputer l’immense majorité des habitants de la planète est éliminée par un conflit nucléaire, rien n’explique pourquoi seul ce village survit à la catastrophe. Rien – à part évidemment ces bombes – ne permet de comprendre également le taux élevé de mortalité chez les femmes, lesquelles meurent littéralement au bout de leur sang lorsqu’elles accouchent, lorsqu’elles sont menstruées, etc. Pas un seul argument scientifique donc pour soutenir la vraisemblance d’une telle hécatombe. Notre esprit critique en attendait, la justification précédente ne nous paraissant pas suffisante.
Nous sommes donc très loin de la SF hard. Il s’agirait bien davantage d’une science-fiction spéculative. Quelques femmes ont survécu, apparemment à cause de leur stérilité ou de leur grand âge ; quelques jeunes filles pré-nubiles et autres plus jeunes enfants de sexe féminin représentent par ailleurs l’espoir de la survie de ce monde. Seule la narratrice traversera les années et deviendra l’unique chance de survivance de ce microcosme.
La génitrice s’insurge contre ce rôle très limitatif et c’est autour de ce questionnement (spéculatif) que se déroule l’intrigue du roman de Laçasse. La mère porteuse, même si elle accouchera, s’interdira d’assumer toutes les attentes de son village. C’est, à sa manière, un refus global… et morbide.
Le sujet était intéressant mais le traitement me semble comporter plusieurs invraisemblances dont celle, notamment, de l’éducation en vase clos des filles, confinées à l’intérieur des maisons. La narratrice explique que c’est grâce à ce confinement des enfants de sexe féminin que ceux-ci peuvent survivre. Ce milieu n’est toutefois pas aseptique car les hommes et les enfants de sexe mâle vont et viennent des maisons… closes à l’air libre. Si ce dernier est préjudiciable à l’élément féminin, comment comprendre alors que le nécessaire et vital changement d’air des habitations mêmes ne les affecte pas jusqu’à leur puberté ? Que dire aussi du petit nombre de personnages à caractère ou à formation scientifiques : il y a les aubergistes converties en éducatrices, il y a l’infirmière de service aux autres multiples fonctions, puis la grand-mère déguisée en nurse et on évoque, à un moment, un pharmacien. Comment se fait-il que ses médicaments ne soient pas périmés après plus d’une douzaine d’années ? Serait-il alors apothicaire ? Mais pas un docteur ! À peine y a-t-il un leader écolo qui arrive à canaliser les énergies et les espoirs de la communauté survivante de Sylver Bud !
L’auteure n’a sans doute pas eu l’intention d’écrire de la SF, pensons-nous, et l’éditrice n’a vraisemblablement pas comptabilisé les inconséquences de ce texte – et nous aurions souhaité d’autre part une argumentation plus serrée du questionnement proposé – mais le récit nous semble révéler d’autres faiblesses. Marques de style ou vices d’écrivain(e), la phrase même de l’auteure n’apparaît pas posséder cette « langue limpide et ferme » (quatrième de couverture) dont son premier roman a pu se glorifier. Lise Laçasse ignore l’existence du point-virgule. (Une dizaine de pages, reprises au hasard, confirment l’absence de ce signe de ponctuation perçue lors de la lecture initiale.) Oulipo donc, le point-virgule ! Mais la virgule prolifère en contre-partie ! Ce choix, selon toute apparence esthétique et stylistique, donne une phrase lourde et la lisibilité du texte en souffre : « Terrées dans leur maison, elles (les femmes) attendaient la mort pendant que les hommes cherchaient la route qui les relierait au reste du monde, [sic] à ma naissance, toutes les femmes fécondes reposaient en terre » (Quatrième de couverture). Bien sûr, les règles de la ponctuation demeurent relativement élastiques et l’usage peut fluctuer en fonction de ce que l’on veut exprimer, mais La Corde au ventre nous semble bien mal desservi par cette carence et ces abus. Toutefois la langue, souvent agressive, compense un peu cette désorganisation stylistique.
Ce récit, divisé en trois parties d’inégales longueurs (d’une soixantaine, d’une trentaine et d’une vingtaine de pages), me laisse donc passablement déçu. Son manque de rigueur logique n’en fera probablement pas une œuvre marquante pour le corpus de la science-fiction et l’écriture caractéristique de ce roman devient un handicap sérieux pour une bonne réception ailleurs. Ce n’est qu’une opinion bien subjective – nous en convenons – mais c’est aux lecteurs et lectrices de faire leur propre évaluation. Souhaitons-les plus gratifiantes pour l’auteure !
Georges Henri CLOUTIER