Marie José Thériault, Portraits d’Elsa et autres histoires (Hy)
Marie José Thériault
Portraits d’Elsa et autres histoires
Montréal, Quinze, 1990, 174 p.
Ce voyage au cœur du rêve, c’est avec Marie José Thériault que nous l’entreprenons. Cette dernière, qui vient de publier ce recueil de nouvelles et de contes, nous transporte dans un univers pour le moins étrange où l’attente et l’errance sont au rendez-vous.
En fait, dans ce recueil fort étonnant qui rassemble en tout une quinzaine de textes divisés en trois ensembles – soit « Portraits d’Eisa », « Le Manuscrit annoté par Pétrarque » et « Cinq histoires orientales » – on est frappé par la grande variété des genres, allant du plus dépouillé au plus byzantin, tour à tour surréaliste, satirique, acerbe, cruel, sardonique pour devenir classique et intimiste à maintes reprises.
Au fil des ans, Marie José Thériault a acquis une belle maturité littéraire. Elle se démarque et s’affirme de plus en plus comme étant l’un des meilleures nouvellistes au Québec. Son écriture est soutenue, voire impeccable. La richesse du vocabulaire étonne et contribue à enrichir l’imagerie du texte et l’ambiance qui s’en dégage.
Ici, tout surprend, car la plupart des textes n’ont pas été écrits avec le souci de créer une unité, mais un à un, patiemment, lascivement, sans pour autant négliger l’importance de l’exotisme et de la sensualité.
Les six « Portraits d’Eisa » représentent en quelque sorte des d’œuvres d’art minutieusement et froidement décrites. On évolue ici aux côtés d’un grand-père voyeur, tandis que l’on rencontre une prostituée qui joue un rôle pour se plier aux fantasmes du narrateur, de son client, et des amants habités par des démons intérieurs qui s’animent et se dépouillent hors de l’espace et du temps. Des rêves sont brisés, déchirés, la vie à deux n’est plus ce qu’elle était. Des questions pointent à l’horizon : « Lequel ira à la rencontre de l’autre ? Il faut emprunter un passage souterrain fait d’escaliers et de corridors. Encore quelques tortueux parcours, encore quelques risques de s’égarer. L’habitude et le réflexe. » (p. 37)
La nouvelle érotique fait peu à peu place au conte (plus ou moins fantastique) car certaines histoires situées à d’autres époque comme « La Joute du Sarrasin » comportent des éléments fantastiques, inquiétants, qui cherchent l’image avec un grand bonheur. Ainsi, mots et choses, êtres vivants, pensées, rêves tout comme les objets que nous avons jusqu’à maintenant eu le tort d’appeler inanimés, tous ont leur vie propre en même temps que leur interdépendance vis-à-vis des autres.
On peut dire que Marie José Thériault manie le doute et l’angoisse de façon admirable. Elle nous laisse l’illusion que nous tenons la Vérité, que nous avons enfin saisi la réalité, et puis non, ça nous échappe encore, tel un nuage de brouillard enveloppant qui s’estompe graduellement.
Mais le joyau de ce recueil demeure sans contredit « Le Manuscrit annoté par Pétrarque » qui nous renvoie au XIXe siècle. Dans ce fort beau récit, le conservateur d’une bibliothèque aux trésors inestimables nous explique les événements curieux qui ont mené à la destruction par le feu de cette bibliothèque.
Dans la dernière partie du recueil intitulée « Cinq histoires orientales » qui ne sont ni plus ni moins que des contes arabes, on retrouve une forme d’écriture fragmentée et chatoyante. L’imagerie, le ton, le merveilleux, le style des « Mille et une nuits » tout y est. Ici, les mots se choisissent et se disposent sur la page selon les exigences d’une forme sonore ou graphique, d’un dessin, d’un rythme, qui non seulement s’écartent du mode discursif, mais en évacuent la possibilité même. Fort souvent poétiques, ils transposent bien la réalité verbale du monde.
En somme, on peut dire que cette œuvre témoigne de la vitalité de la nouvelle et du conte comme formes d’expression littéraire, et ce, particulièrement dans le domaine du fantastique. Bien sûr, ce recueil n’est pas sans défauts car on peut y déceler certaines répétitions ou redondances, mais c’est fugace.
Cependant, malgré ces inévitables inégalités de parcours, ce livre mérite qu’on s’y attarde en vertu de l’originalité et de la variété de ses textes qui demeurent toujours accessibles. En bref, une très belle performance, mais peut-on fébrilement anticiper la venue d’un deuxième roman sous peu ?
Pierre GRENIER