Jean-Pierre Girard, Silences (Fa)
Jean-Pierre Girard
Silences
Québec, L’Instant même, 1990, 140 p.
Ce livre est un parfait exemple de l’influence exercée par la littérature fantastique sur celle dite « générale ». En effet, si les histoires racontées ici ne comportent à prime abord aucun élément de nature vraiment fantastique, le style adopté par l’auteur et le traitement narratif qui en découle rappellent immanquablement les expériences stylistiques réalisées par les écrivains de la « nouvelle vague » de la SF dans les années soixante et par les auteurs de fantastique contemporains, qui transposent souvent leur imaginaire fantastique du fond à la forme du récit.
Récipiendaire du prix Adrienne-Choquette (décerné à un recueil inédit) en 1989, Silences décrit le quotidien en s’attardant à ses aspects les plus insolites, favorisant d’ailleurs pour ce faire une perspective légèrement décalée, comme en retrait de la réalité. En effet, les personnages de Girard semblent le plus souvent à peine vivoter en marge de notre monde, prêts à tout moment à glisser silencieusement dans le rêve de leur univers personnel.
Le silence et la difficulté de communiquer sont d’ailleurs les fils conducteurs de ce recueil, où les rares dialogues sonnent le plus souvent faux et ne servent qu’à souligner la maladresse des gens à se dire les choses importantes.
La nouvelle « P. A. » par exemple, raconte les répercussions de l’autisme sur les relations familiales, alors qu’un enfant doit pour la première fois quitter sa maison et aller à l’école. Or, même si c’est le jeune garçon qui est atteint, le lecteur termine la nouvelle davantage marqué par l’incapacité de la narratrice, sa mère, à faire comprendre à son enfant ou aux autres membres de la famille, les émotions qu’elle ressent et qui la déchirent.
Dans « Les Marcheurs » et « Qui », les deux textes les plus près de ce que l’on appelle habituellement du fantastique, c’est l’incertitude qui constitue l’élément extraordinaire, la crainte de ne pas savoir pourquoi et par qui certains gestes qui nous affectent sont posés. Il s’agit à mon avis des deux meilleurs textes du livre, et ils gagnent en intensité ce que leur brièveté leur enlève en complexité.
Avec « Ça fait ting » et « Bang de nov. 79 » on croirait presque lire du Ballard de l’époque des « romans condensés ». Ici, la trame narrative cède définitivement le pas aux mots, dont seule la valeur phonétique et visuelle parvient à transcrire adéquatement l’univers fortement onirique de l’auteur. Enfin, « L’Éclair blanc » clôt le recueil sur une note genre « nouveau roman » qui laisse le lecteur en suspens, comme à la recherche d’une porte pour sortir des mondes intérieurs évoqués par l’écrivain.
Il est évident que Silences révèle un réel talent, qui ne demande qu’à s’affirmer. Toutefois, il est dommage que l’écriture parfois beaucoup trop hermétique de Girard limite grandement l’impact de ses textes. Bien sûr, il faut faire confiance à l’intelligence du lecteur, mais il demeure que par sa lenteur et sa trop profonde introspection, le style de Girard rend la lecture quelque peu ardue par moments. Il faut se rappeler qu’un exercice de style est toujours plus intéressant lorsqu’il sert un vrai texte.
Jean-Philippe GERVAIS