Claude Janelle (dir.), L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois 1989
Collectif sous la direction de Claude Janelle.
L’Année de la Science-fiction et du fantastique québécois 1989
Beauport, Le Passeur, 1990, 336 p.
Recevoir la mission de rendre compte de cet ouvrage est très intimidant pour une nouvelle chroniqueure, L’Année occupant dans le milieu une place comparable à celle des encycliques papales dans le monde catholique et recevant souvent le même accueil obédientiel. C’est du moins l’impression que l’apostate que je suis (je n’avais lu qu’une seule livraison de l’ouvrage jusqu’à présent) ressent à lire les commentaires publiées les années antérieures.
Le projet a de quoi forcer l’admiration et même la vénération : on nous dit que les rédacteurs ont dû répertorier et commenter pour la présente livraison 181 nouvelles inédites (97 fantastiques et 84 de SF), 23 romans ou récits inédits (les deux tiers en SF), des records. Autre record : on compte 108 auteurs ayant publié au moins une fiction inédite. Tout un programme à découdre pour une critique non chevronnée. L’ouvrage ayant rapidement acquis la réputation d’une référence sûre (les rédacteurs le présentant ainsi sur la couverture arrière), il est normal que les attentes soient très fortes vis-à-vis chaque livraison de L’Année.
Certains défauts de la réalisation ayant déjà été commentés avec pertinence dans Solaris (voir le commentaire de Francine Pelletier et Luc Pomerleau dans le numéro 86), je me contenterai de soulever certaines défaillances moins souvent mentionnées. Tout d’abord, une certaine tendance à se poser en directeurs de conscience de la SF québécoise ; tentation à laquelle il est certainement facile de succomber quand on se donne le défi de commenter tout ce qui est paru pendant l’année. Tendance aussi à se placer au centre de la SF québécoise, presque du genre « hors de L’Année, point de salut » ; exemple, en page 294 on nous dit que la nouvelle maquette de couverture de Solaris n’est pas sans rappeler l’esthétique de L’Année. Je ne suis pas professionnelle du graphisme, mais je ne vois vraiment pas le rapprochement…
D’autre part, dans le cas des rééditions de textes datant d’avant 1984, première parution du répertoire, on nous dit de consulter L’Année correspondant à l’année en question ; mais aucun de ces répertoires antérieurs n’est encore paru, et aucune parution n’est officiellement prévue d’après ce que la rédaction de Solaris était en mesure de me confirmer ; cette pratique se répétant d’une édition à l’autre, elle devient très ennuyeuse tout en frôlant la fausse représentation (c’est presque aussi malhonnête qu’une revue qui décide soudain d’augmenter d’une centaine sa numérotation, comme le fit Stop au n° 13, qui devint le 113).
Finalement, les rédacteurs de L’Année pratiquent un certain sectarisme dans leur dépouillement des contenus critiques des revues puisqu’ils ne relèvent que ce qui traite du domaine littéraire, laissant de côté les articles portant sur la BD ou le cinéma par exemple. C’est peut-être par manque de compétence, mais c’est d’une part une injustice (envers les excellents textes de Gabriel Rochette par exemple) et d’autre part une faille majeure. On isole de cette manière la SF écrite du reste de la production ; il y a pourtant une circulation constante des influences entre les diverses formes d’expression. J’aimerais aussi que le recensement des études réunisse des analyses et non de simples résumés.
Mais en relevant ainsi les carences de L’Année, je risque de donner l’impression qu’elle n’a aucune qualité ; en fait, la parcourir, c’est revivre en raccourci la lecture de certains textes marquants, c’est découvrir des choses encore inconnues, c’est sentir l’envie de lire ce qu’on n’aurait pas lues autrement, c’est revoir d’un œil différent des textes auxquels on n’aurait autrement jamais accordé un autre regard. Malgré les déficiences, L’Année donne donc excellent portrait de la production 89.
L’Année est aussi une mini-anthologie et réunit cette fois trois nouvelles. La meilleure à mon sens est sans contredit celle de Joël Champetier, au titre improbable de « Ce que Hercule est allé faire chez Augias, et pourquoi il n’y est pas resté ». Ce texte est un heureux et presque parfait mélange de science, d’intrigue et d’humour. Ce dernier élément est difficile à manipuler en SF et plusieurs auteurs qui s’y frottent tombent dans le gros comique du type slapstick ; Champetier a structuré son humour à partir d’une question fort logique et pertinente, qu’arrive-t-il lorsque le système d’égouts d’un vaisseau spatial se détraque ? L’humour n’est pas appliqué au texte, il en fait partie intégrante, il est sui generis au problème central. Il flotte dans cette nouvelle un parfum (entre autres odeurs…) de Sheckley, mais du Sheckley en plus contrôlé, qui aurait mieux pensé les conséquences logiques de son point de départ. D’amusantes références à notre époque (le vaisseau s’appelle le Viridiana et un bacille porte un nom très familier aux lecteurs de la présente revue). Petites réserves : l’intrigue amoureuse qui arrive comme un cheveu sur la soupe à la fin du texte et est traitée plutôt lourdement, ainsi qu’au moins une erreur grave du vocabulaire technique : en physique, on parle de « supraconducteurs » et non de « superconducteurs », la rédaction pourra me corriger si c’est moi qui erre. Malgré tout, un texte extrêmement plaisant, qui rappelle que les meilleurs textes sont parfois issus des idées les plus simples.
Idée simple aussi que celle à la base de la nouvelle d’André Carpentier « Carnet sur la fin possible d’un monde » qui contient certaines des plus belles pages lues cette année en SF. Intrigue classique, un objet, cosmique, la Visiteuse, s’approche de la Terre (on pense au Vagabond de Leiber par moments), d’où s’est envolée une partie de la population ; les Terriens restés derrière sombrent dans la frénésie religieuse et partent en masse dans un furieux pèlerinage vers Montréal, et plus particulièrement l’Oratoire (of all places) pour attendre le passage de la Visiteuse. La nouvelle est le journal d’un père, écrit pour sa fille de deux ans, en prévision d’une incertaine survie de celle-ci. Le texte atteint un équilibre remarquable entre les descriptions de scènes hallucinantes du voyage entre Québec et Montréal, avec ses mouvements de foule sans commune mesure avec notre expérience quotidienne, et l’évident désarroi empreint de tendresse du narrateur. La fin satisfera ceux qui cherchent dans tout texte de SF une explication rationnelle ; Carpentier a réussi ici, sans avoir recours à des moyens à grand déploiement, un amalgame difficile, celui de la nouvelle dite « littéraire » au spectaculaire, à l’émotion et à la SF classique. Très, très beau.
Reste la nouvelle de Jean Pettigrew, « Le lendemain, on parlera de mort subite » ; trois lectures n’ont pas suffi à me faire comprendre ce « récit ». De toute évidence, il y a identification atavique entre la personnage centrale et un poisson préhistorique pêché dans l’océan. Mais au-delà de cela, je n’y pige pas grand-chose ; de plus, le texte est écrit à la deuxième personne du singulier sans que rien ne me paraisse le justifier et au contraire, cela a nui à ma lecture. Et lorsque je suis arrivé à la phrase « Tu enjambes métaphoriquement le pas de la fenêtre », j’ai perdu définitivement mon combat avec ce texte, le rire le disputant à l’irritation. Il paraît que sur son lit de mort, Gœthe a dit « plus de lumière » ; Pettigrew aurait dû méditer ces paroles au moment d’écrire cette nouvelle.
Michèle LAFFERIÈRE