Billy Bob Dutrisac, Kafka Kalmar
Billy Bob Dutrisac
Kafka Kalmar
Montréal, Québec/Amérique, 1989, 290 p.
Kalmar, vous avez dit Kalmar ?
Sur un mode parodique
Calmar ?… Avec un K !… Kalmar ?… Ah !… Les évocations premières des fritures de céphalopodes d’un restaurant populaire d’Athènes laissent place à Kalamaria, village alors peu touristique d’une île grecque.
Kafka Kalmar. Une allitération étourdissante. Que l’on prend deux secondes à répéter. Imaginez un bouquin… En sous-titre : une crucifiction [sic]. Le littéraire s’installe en roman !
Mais avec Kafka Kalmar, nous sommes loin de la détente du club Med. On est vite attaqué par la violence de certains personnages. Dès le prologue, une vocation se dessine chez un enfant. Une vocation de tueur.
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Demain, l’apocalypse n’aura pas lieu…
Surtout, ne pensez pas que c’est gratuit
Jean Barbe préface ce second volume de Billy Bob Dutrisac. On en déduit presque qu’il s’agit du livre d’un voyant. Des prédicateurs américains au pilori à la caresse d’un prêcheur québécois trouble, tout y passe. Tout cela est prémonitoire. C’est que Barbe a lu une première version avant que tout cela ne se produise ! Fantastique, n’est-ce pas ? L’écrivain a des antennes ! Serait-il aussi martien, par hasard ?
L’univers décrit par Dutrisac est à peine parallèle au nôtre, tant il est semblable dans ses excès (une société de type ultramontain). Dans d’autres données également, puisque l’un des personnages se procure un livre de Christian Roy, alias Mistral. Le glissement est faible pour le science-fictionnel.
Un télévangéliste catholique, Walter Warhead, s’est assuré la mainmise publique sur le Québec par son image fabriquée et médiatique. Il contrôle le pouvoir politique – qui lui doit les votes de son auditoire captif – par un jeu de manigances. La police aussi mange dans sa main. C’est là le corollaire de tout pouvoir organisé. Le prêcheur représente le bien !
Le Mal est figuré par la liberté de presse écrite. Kafka Kalmar, journaliste au Riff, hebdo de la culture rock, analyse particulièrement le discours télévangélique de Warhead et l’incitation à la violence qu’il sous-tend… et nourrira rapidement.
Le Mal, c’est aussi la marginalité. La famille est la valeur première de cette société québécoise (tiens, cela rappelle Nicole Paradis et son Amitié Cosmique !) et toute relation intime doit s’effectuer dans le cadre fondamentaliste de la religion chrétienne. La déviance à cet ordre est alors à bannir, soutient le prédicateur. D’où la résolution subséquente de punir par l’exemplarité.
Un catéchumène – le tueur précité – se fait l’apôtre justicier et commet des meurtres sériels, visant d’abord les homosexuels. (Un public cible, comme le 6 décembre dernier.) Récupéré par Warhead, il poursuivra sa mission contre les opposants directs ou indirects de ce pouvoir religieux.
Dans cette histoire, on peut noter – et s’en étonner ! – que l’écrit aura raison de l’image. C’est là une victoire… réconfortante !
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To bee or not to bee
Sur un air connu
Le récit de ces détails est conduit par Kalmar lui-même. Il se révèle (un) narrateur (très) omniscient. C’est peut-être la science infuse de Zen Rhododendron – le seul personnage à caractère fantastique de ce roman de Dutrisac – qui lui permet de connaître faits, gestes et pensées de Johnny Bilodeau – mieux connu sous le nom de guerre de Walter Warhead – et de nous les narrer comme si Kalmar était son alter ego.
« Djé Bee » – il faut ouvrir ici une autre parenthèse – a déjà gagné à la loto, avec sa femme. (Coïncidence : chez Nicole Paradis, un gain de loto est également déterminant pour les personnages.) Décidé à faire fructifier ce capital spontané, Bilodeau s’est lancé en religion comme en affaires.
Dutrisac tente – comme bon nombre d’écrivains québécois actuellement – de renouveler clichés et proverbes. Il affectionne particulièrement les jeux de mots paronymiques. « Tel père tel fils. Tel faire telle pisse. » (p.39). Son premier titre. Une photo vaut mille morts, en témoigne aussi. Il y a là de bonnes comme de moins bonnes trouvailles. Mais cette pratique du calembour est surtout apparente au début du texte.
Kalmar (ou Dutrisac) donne également dans le vocabulaire argotique. Le milieu du Riff a son (méta)langage et le livre se présente comme « un roman hip » (quatrième de couverture). Certaines notions ne se saisissent que par le contexte. Cependant si vous êtes branchés sur la culture rock, vous êtes privilégiés.
L’ordinateur est une bien utile invention pour favoriser la polyphonie. Dutrisac s’en sert abondamment et son texte fourmille de caractères gras, italiques ou non, citant ainsi en leitmotiv le message de la culture rock où baigne son Kafka Kalmar. Le choix, généralement pertinent au contenu, rappelle notamment la technique de Luc Granger dans son Ouate de Phoque (1969) ; ce dernier toutefois utilisait davantage les variations typographiques.
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À l’est, rien de nouveau… sous le soleil
Sur images surconsommées
Québec/Amérique propose depuis quelque temps une nouvelle collection : Littérature d’Amérique, dirigée par André Vanasse. On tente de faire passer à la postérité, comme textes indispensables, des productions apparemment chocs.
Une première de couverture se veut signifiante et cherche à accrocher le lecteur. L’esprit du texte semble bien illustré. La quatrième de couverture, elle, veut ferrer son client. Elle provoque plus qu’elle n’invite à lire. À l’écrivain donc de se débrouiller dans cette mise en marché garante de légitimation.
Dutrisac offre à son tour une rupture. Comme un contrevenant de la littérature. L’écriture, à l’instar de Mistral, y est vue comme un solvant des traditions existantes. Mais malgré cette volonté de faire neuf, la parenté arrive rapidement… à trop vouloir décaper.
« Kafka Kalmar… le roman des années quatre-vingt-dix » (communiqué de presse et quatrième de couverture) : l’affirmation peut paraître prétentieuse et l’auteur risque, pour cette vanité, une crucifixion.
George-Henri CLOUTIER