Ernest Pallacio-Morin, La Route de Champigny (Hy)
Ernest Pallacio-Morin
La Route de Champigny
Verdun, Louise Courteau, 1988, 165 p.
D’un « ancien » de la littérature québécoise nous parvient un curieux petit recueil, situé à mi-chemin entre le conte pour enfants et l’étude historique du folklore et des légendes d’un peuple. Trente-sept textes de 3 ou 4 pages : inutile donc de parler d’« intrigue » ou de « trame » autour desquelles s’articuleraient ces récits, qui s’apparentent davantage à de simples souvenirs transposés à l’écrit, qu’à de véritables œuvres de fiction. L’auteur nous confie dès le départ ses intentions en faisant de fréquentes références aux personnes qui lui ont raconté ces histoires durant son enfance et sa vie adulte, et à sa propre connaissance des faits ou des individus peuplant les légendes dont il nous fait part.
L’atmosphère d’isolement qui régnait alors dans les campagnes, alliée au mystère des sombres forêts et à l’omniprésence des symboles religieux, confère à ce recueil une parenté d’esprit avec certains « classiques » de la littérature québécoise tels Le Survenant ou Maria Chapdelaine. Les mentalités, attitudes et comportements de la société décrite ici rappellent bien ce passé pas si distant où les larges familles, l’attachement à la terre et la pratique religieuse caractérisaient l’ensemble du Canada français. Les éléments de fantastique parsemés tout au long du livre n’ont d’ailleurs que bien peu à faire d’un tel qualificatif, leur naïveté et leur côté enfantin étant beaucoup plus près du merveilleux que l’on retrouve dans certaines fables de notre enfance que du climat noir et angoissant si typique du fantastique contemporain. L’importance de la religion et les très nombreuses références aux saints et saintes de l’Église catholique sont également les témoins d’une autre époque, alors que les connaissances scientifiques et découvertes technologiques, plutôt rudimentaires, cédaient le pas à une nature capricieuse dont les mystères étaient autant de preuves de l’existence d’un Dieu invisible et tout-puissant, influant à la fois sur les phénomènes naturels et le destin des êtres humains.
Tout au long du recueil, on sent la présence sombre de la forêt, toujours si près des maisons, et le vent qui souffle à l’extérieur et accompagne la voix du conteur. On entend ce curé interdire à ses paroissiens de fréquenter « L’Estaminet » et, avec ceux-ci, on assiste aux vaillantes luttes de leurs prêtres contre le Diable dans « L’Avertissement » ou « Trop de talent ». Par la suite, tout délicatement, on découvre « La Vierge indienne » dissimulée dans un tronc d’arbre, ou alors on reste stupéfait devant le secret du « Père Tou »
Enfin, quelques textes vraiment magnifiques, dont la présence au sein de ce recueil nous permet d’en goûter toutes les résonances : « L’Odyssée de Christophe », « La Fée de l’amour » et « Tristant le bourgeois ». Dans ces contes, la part du fantastique est plus grande qu’à l’habitude, ajoutant une touche de merveilleux à un livre absolument agréable.
La Route de Champigny est vraiment très intéressant, tant au niveau d’une lecture pour le simple plaisir que d’une approche axée sur l’aspect historique de l’entreprise. En définitive, un mince livre passé plutôt inaperçu lors de sa sortie il y a environ un an, mais qui, sans être un chef-d’œuvre, mérite qu’on s’y attarde.
Jean-Philippe GERVAIS