Norbert Spehner, Écrits sur la science-fiction
Norbert Spehner
Écrits sur la science-fiction
Longueuil, Le Préambule (Paralittératures), 1988, 534 p.
Après les Écrits sur le fantastique, Norbert Spehner nous propose ce gigantesque répertoire bibliographique sur la SF, qui se propose de recueillir la majorité des essais, articles et ouvrages critiques publiés entre 1900 et 1987 J’ai dit « la majorité » puisque malgré la taille du livre, Spehner ne prétend pas à l’exhaustivité, tout d’abord parce qu’il n’a pu tout consulter, entre autres dans le cas des articles, trop nombreux pour être connus et répertoriés par un seul chercheur. Spehner a aussi dû faire un choix dans les cas de surabondance de références sur un même sujet, privilégiant celles qu’il considère les plus pertinentes.
Réglons immédiatement la question du travail de recherche : il est impressionnant. J’ai fait plusieurs vérifications d’articles et de livres susceptibles de se retrouver dans le livre et à de rares exceptions près, ils y sont tous, même certains assez obscurs. Il va sans dire que les références essentielles y sont toutes répertoriées ; la section des références sur la SF québécoise est d’ailleurs complète, puisque l’auteur a décidé de les mentionner intégralement, sans établir de choix. Voilà qui met à la portée des chercheurs sur la SFQ un instrument unique et indispensable.
On peut bien sûr relever certaines déficiences. Une mineure tout d’abord : dans le cas des ouvrage publiés en anglais, les éditions divergentes ne sont pas nécessairement mentionnées et j’ai pu dans 2 ou 3 cas constater que Spehner a consulté l’édition américaine contre mon édition britannique ou, plus rarement, vice-versa. Quelques carences aussi dans la partie bande dessinée et cinéma ; Spehner avoue franchement dès le départ qu’il n’est pas un spécialiste de ces domaines. Il préfère donner une liste des principales références ; on constate plusieurs trous. On souhaiterait la réalisation d’un tel travail dans le domaine de la BD.
J’ai aussi des réserves quant à la manière de répertorier les numéros spéciaux des revues : les articles individuels ne sont pas mentionnés ailleurs par exemple dans la rubrique du sujet ou de l’auteur dont ils traitement et il peut s’avérer difficile de retrouver certains articles, à moins d’éplucher consciencieusement toute la liste des périodiques.
Par ailleurs, le livre n’est pas seulement ouvrage de consultation et Spehner s’aventure dans l’introduction à quelques remarques sur la SF et les études dont elle a fait l’objet. Cela lui permet de délimiter clairement le territoire couvert ici et d’expliquer l’apparente exclusion de certains textes ou auteurs. Il en profite aussi pour y aller de quelques coups de griffes contre les tendances à l’emphase verbale de bien des académiciens. Pour Spehner cette « langue de bois académique, [ce] jargon de caste » est révélateur de la méfiance qui survit encore dans les milieux universitaires ; le recours à une langue surcompliquée sert selon lui de caution face à ses collègues lorsqu’on pénètre dans le territoire suspect des études de SF Spehner ne se fera pas aimer d’une partie de la clientèle potentielle de l’ouvrage, mais il soulève là une question qui ne sera probablement jamais résolue : jusqu’à quel point la nécessité d’étudier un art ou une littéraire au moyen de concepts et d’approches avancés et donc d’employer une terminologie évoluée peut-elle être conciliée à la nécessité de communiquer ses résultats au lecteur, qui ne partage pas nécessairement les mêmes outils. Spehner souligne que communication et réflexion ne sont pas incompatibles et cite le cas de la revue britannique Foundation.
Il effleure aussi les problèmes de formulation d’une définition de la SF ; il conclut sur la quasi-impossibilité de produire une définition opérationnelle de la SF, et semble opter pour une approche empirique, au cas par cas. Ce qui rejoint les conclusions de Barry N. Malzberg qui, dans The Engines of the Night, soulignait que c’est de la SF quand un lecteur de SF peut pointer du doigt et dire : « ça, c’est de la SF »…
Finalement, on peut poser la question du public cible de cet ouvrage : les enseignants, étudiants, chercheurs, bibliothécaires, collectionneurs… certainement. Mais aussi l’amateur qui veut disposer d’un outil permettant de retrouver rapidement la référence fugitive ou inconnue nécessaire pour confirmer un fait ou pour se familiariser avec un sujet. Saluons le travail de bénédictin de Spehner et souhaitons que des addenda éventuels viennent mettre à jour régulièrement cette référence dès maintenant indispensable.
Luc POMERLEAU