France Boisvert, Les Samourailles (SF) et André Vanasse, La Vie à rebours (Fa)
France Boisvert
Les Samourailles
Montréal, L’Hexagone (Fictions), 1987, 208 p.
André Vanasse
La Vie à rebours
Montréal, Québec/Amérique (Littérature d’Amérique), 1987, 182 p.
« Sous la force de la gravité, les étoiles finissent par se concentrer vers leur milieu et former ce que les astronomes appellent des « trous noirs » d’une extrême densité. Le Canada connaît le même phénomène. De plus en plus – et beaucoup plus vite qu’on peut l’imaginer – le pays gravite autour d’une seule ville : Toronto. » (La Presse, samedi 13 février 1988). L’image inquiète et rassure à la fois. Rassure parce qu’à un phénomène socio-économique on a substitué un autre, plus impersonnel, moins accusateur, emprunté à l’astrophysique. Inquiète à cause de son caractère mystérieux, vaguement menaçant. La science-fiction est une prodigieuse machine à fabriquer des images. Télévision et journaux y trouvent leurs comptes et puisent allègrement dans son répertoire.
Pour le fan, c’est le plaisir de découvrir, au détour d’un message publicitaire ou d’un vidéo-rock, les traces d’un genre que lui livre avec parcimonie le cinéma. Par contre, il ne faudrait pas s’illusionner. Cette présence, trop bien léchée, trop bien lessivée, n’est qu’un succédané, une forme de tape-à-l’oeil. Plutôt que de SF, il faudrait parler de métaphore SF, d’une volonté de « faire comme… ». On se limite à quelques éléments aisément reconnaissables, on se contente de créer un décor. Deux ouvrages récents. Les Samourailles de France Boisvert et La Vie à rebours d’André Vanasse, chacun dans des registres différents (la SF pour la première et le Fantastique pour le second), témoignent de cette tendance à « faire comme… », c’est-à-dire de se situer aux frontières d’un genre sans jamais y plonger réellement. L’effet peut devenir frustrant et, au-delà des intentions respectives des auteurs, toujours libres d’interpréter un genre à leur manière, l’opération ne semble pas tout à fait gratuite.
France Boisvert met en place une situation classique de la SF : le monde après la catastrophe atomique, la vie qui, précairement, s’est réorganisée. Le point de vue est parodique. En effet, il ne faut pas longtemps au lecteur pour se rendre compte que c’est d’aujourd’hui dont J est question. Pour son premier roman, l’auteure fait flèche de tout bois, attaquant psychanalystes, bureaucrates, stéréotypes sexuels, ridiculisant conventions et rituels sociaux. La SF n’est qu’un décor commode, un ailleurs truqué, prétexte à d’inénarrables jeux de mots à saveur « high-tech ». Malheureusement l’exercice n’atteint pas son but. Pour le lecteur, il faut sans cesse décoder, s’habituer aux inlassables clins d’oeil que lui adresse l’écrivain. Au lieu de créer un raccourci permettant d’accéder plus rapidement au monde imaginaire créé par France Boisvert, ce travail sur les mots ne constitue qu’un détour ramenant le lecteur inéluctablement à son présent. Une fois gommés les éléments SF, il ne reste plus qu’une histoire d’amour où domine une symbolique dont les clés ne nous sont jamais livrées.
Le cas d’André Vanasse est plus complexe. Voici un récit qui, à première vue, respecte à la lettre les conventions du genre. Contrairement au roman de France Boisvert, les clés du texte nous sont données au départ : le « complexe de Jonas » le fantasme de l’avalement en tant que désir de « retourner au sein maternel ». Ainsi le livre s’ouvrira et se terminera sur le même mot : « maman » Pour le lecteur, le chemin est donc bien balisé, l’espace soigneusement délimité.
Le voyage sera circulaire, partant du stade fœtal pour y revenir.
Ce qui frappe par contre, c’est justement l’absence de cet espace intérieur ou, du moins, l’incapacité d’en rendre compte. En se centrant sur Venoussa, l’avaleuse, plutôt que sur Serge, l’avalé, le récit devient celui de leurs difficultés à communiquer. Du monde habité par Serge nous n’apprendrons que peu de chose : Serge est loin, hors d’atteinte, protégé. Pour Venoussa c’est l’inverse. De plus en plus rongée par l’angoisse de perdre celui qu’elle aime, elle finira par plonger dans la folie et la mort Cette lente descente vers la psychose, André Vanasse en décrit les symptômes de manière poignante et réaliste. Le fantastique ne semble alors qu’une diversion, une fenêtre sur l’imaginaire pour un texte qui risquerait de tomber dans la description pathologique d’un cas.
Le thème de l’avalement n’est pas chose nouvelle en littérature. La mythologie, en particulier, l’a utilisé fréquemment. Toujours, il implique des notions de seuil à franchir, de métamorphoses nécessaires. C’est que le corps une fois dévoré, morcelé, doit être reconstruit. Tout devient alors possible, l’avalement faisant figure de renaissance, d’élévation à une sphère supérieure. Encore faut-il que le héros revienne, refasse à l’envers le voyage qui l’a conduit à l’intérieur de la bête.
Ce qui attend Serge, c’est l’oubli, le silence, prélude à l’engloutissement final. Le retour est donc impassible. Ce dont parle La Vie à rebours, c’est d’absence, de vide. La rencontre de Venoussa ne constitue qu’une répétition de la mort qui attend Serge. A son désir de se noyer en se jetant en bas du pont Jacques-Cartier, il substituera celui de régresser, d’entrer en Venoussa pour ne plus en sortir. Cette décision prise, la fin du drame est déjà inscrite. La présence possible d’un élément fantastique n’y joue aucun rôle. À la limite, on pourrait affirmer que le fantastique est utilisé par André Vanasse à l’inverse de son fonctionnement habituel. Il n’inquiète pas. Il ne sert pas à introduire un doute dans l’ordre sacro-saint de la réalité. Ici, il rend supportable un dénouement tragique, presque absurde, qui prend ses racines dans le social. Il autorise un changement de registre à un moment où le réel devient justement menaçant.
Nous vivons dans une société qui accorde beaucoup d’importance à tout ce qui relève de l’imaginaire. Non en tant que possible, reconstruction du monde ou, carrément, sa négation, mais plutôt en tant qu’effet de langage. Intermédiaire placé entre les choses et nous, cet imaginaire ne sert qu’à décrire des réalités familières. Ainsi, on comprend mieux le récent engouement des auteurs du mainstream pour la SF ou le fantastique. Ils utilisent un langage.
Scène finale des Samourailles : « Hortense sourit et se cala dans son siège. Elle partait vers un monde dont elle ne connaissait même pas la langue ! Elle partait comme une tête folle avec une clé au fond de sa poche ! Hortense fit avec sa bouche de la buée sur la vitre et y traça un jeu de tic-tac-toc. Le visage de Praxis Séphiroth lui apparut dans le carré du centre. »
Les pérégrinations de l’héroïne trouvent peut-être leur sens ici. Hortense Soir confrontée à l’image de l’être aimé, reflet adoré mais qui reproduit de manière narcissique celle, secrète, de l’auteure.
Autant La Vie à rebours que Les Samourailles proposent aux lecteurs des histoires d’amour où le contact entre les protagonistes n’arrive jamais à se produire. C’est que l’imaginaire auquel ils font référence est un miroir. Incapable de percer une brèche dans la réalité, il ne pout parler de l’autre (ou d’un autre monde), encore moins le toucher.
Michel LAMONTAGNE